Gérard Pella, prédication donnée à Signy le 8 mai 2016
Juste avant son Ascension, Jésus confie à ses disciples une mission colossale : être ses témoins jusqu’au bout du monde. La tâche est immense, il faut se retrousser les manches et y aller sans plus attendre.
Sauf que… la première recommandation de Jésus est plutôt surprenante :
« Il leur recommanda de ne pas quitter Jérusalem… mais d’y attendre la promesse du Père » (Ac 1,4). « Vous allez recevoir une puissance(dynamis), celle du Saint-Esprit qui viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre » (Ac 1,8).
Ces dix jours d’attente entre l’Ascension et Pentecôte sont un signe fort, qui nous disent sans équivoque qu’il n’est pas possible d’être témoins du Ressuscité sans être remplis de son Esprit.
Vous me direz peut-être :
« C’est l’expérience de la première génération chrétienne. Mais nous, nous vivons une tout autre réalité :
- la Pentecôte est derrière nous
- nous avons reçu le Saint-Esprit à notre baptême
- nous l’appelons à chaque culte
Alors, c’est bon ! Nous pouvons foncer ! Regardez toutes nos activités ; ça bouge ! Nous sommes des témoins dynamiques de Jésus-Christ. »
Et pourtant… Il y a dans ce canton une femme pasteure qui est convaincue de l’importance d’évangéliser. Vous la connaissez certainement, avec sa cabane au Flon, sa roulotte, son âne et son chien. Elle a reçu une conviction qui l’a surprise, elle la première : c’est que nous étions appelés à nous arrêter. Une vingtaine de pasteurs et de fidèles ont été convaincus qu’il y avait là un appel de Dieu pour nous et pour notre Eglise. C’est donc l’appel que nous avons répercuté dans le Manifeste bleu :
L’appel qui nous brûle, c’est la voix de Jésus-Christ qui encourage son Eglise alors qu’elle s’épuise sous de nombreux fardeaux. Et voici ce qu’il nous semble entendre:
« Arrêtez-vous ! C’est urgent ! Priez, jeûnez et revenez à Moi, dit le Seigneur.»
« Venez à moi », dit Jésus-Christ. Nous comprenons ainsi cet appel : Arrêtez vos œuvres trop souvent autonomes, pour lesquelles vous n’avez pas besoin de moi. Arrêtez ce remplissage qui vous épuise, déposez ce fardeau trop lourd. Créez du vide: il deviendra une place pour me recevoir. Alors vous trouverez le vrai repos. Non pas celui de la passivité, mais celui du bon choix et de la bonne compréhension et répartition des tâches.
« Arrêtez-vous ! »
Comme les disciples pendant les dix jours avant Pentecôte.
C’est un appel à redonner à la dimension spirituelle sa place – première et prioritaire – dans notre vie personnelle et communautaire. J’entends le même appel dans le livre d’Eric Fuchs et Pierre Glardon :
« Si crise il y a au sein de nos Eglises, celle-ci n’est pas d’abord organisationnelle, financière, communicationnelle, ou liée « à un positionnement insuffisant dans l’événementiel » ( !) mais bien éthique et spirituelle. Et aucun changement d’image (extérieure) n’y changera rien, tant que nous ne nous préoccuperons pas d’abord de la transformation intérieure requise. » (Turbulences, Le Mont-sur-Lausanne, Editions Ouverture, 2011, p. 18).
« Il convient de se demander en Eglise POURQUOI le message semble de plus en plus récusé, POURQUOI les efforts des Eglises pour rassembler (et séduire) sont si peu efficients, POURQUOI autant de personnes ont déserté au fil des ans. A ce jour, semblables à n’importe quelle entreprise civile, nos Eglises ont essentiellement cherché des solutions du côté des spécialistes de la Gestion RH (Ressources Humaines), de la communication, des juristes et des sondeurs d’opinion : puisqu’une Eglise est un fournisseur de prestations, que peut-on faire pour améliorer le produit et, si l’on ose dire, sa « commercialisation » ? Cette approche ne peut apporter aucune solution durable et sera, quoi que l’on en pense, vouée à l’échec tant qu’on ne prendra pas la peine de s’interroger spirituellement. » (p. 65)
« Arrêtez-vous ! Et reconnaissez que je suis Dieu ! » (Ps 46,11).
Reconnaissez que l’Eglise n’est pas une entreprise.
Reconnaissez que vos efforts produisent peu de fruits.
« Arrêtez-vous ! »
Comme les disciples pendant les dix jours avant Pentecôte.
Revenez à moi, le Vivant qui donne vie !
J’aimerais illustrer cela par une caricature, empruntée sauf erreur à Antoine Nouis : avez-vous remarqué la différence entre un poulet et un aigle ? Ce brave petit poulet déploie une énergie considérable. Il s’agite dans tous les sens et, malgré tous ses efforts, ne décolle que de quelques centimètres. Tandis que l’aigle sait se laisser porter par le vent. Il est loin d’être passif ou poussif mais il déploie tout grand ses ailes et parcourt des kilomètres avec un minimum d’effort.
J’aspire à ressembler davantage à un aigle qu’à un poulet, à ouvrir tout grand mes ailes au souffle de l’Esprit. C’est lui qui permet de prendre de la hauteur, d’avoir une vision d’ensemble, de discerner, d’agir à bon escient, de parler au bon moment.
« Arrêtez-vous ! »
Pour reconnaître que Dieu est Dieu.
Pour nous recentrer sur le Christ, seul Seigneur de l’Eglise.
Pour nous ouvrir à l’Esprit Saint.
Gérard Pella, prédication donnée à Signy le 8 mai 2016