Cette magnifique histoire est parvenue à notre connaissance le 24 décembre. Trop tard pour vous l’offrir à Noël 2024. Elle viendra volontiers enrichir vos célébrations ou vos fêtes de famille l’an prochain !

Le visiteur de Noël

Au soir du 24 décembre 1698, dans une auberge des Cévennes, quatre soldats, quatre  « dragons », s’apprêtaient à quitter avec regret dans une salle chaude et joyeuse la grande cheminée où rôtissaient des chapelets d’oies dodues.

Par ordre du Roi Soleil, ils devaient réduire à merci les protestants de cette région qui n’avaient pas abjuré leur foi après la Révocation de l’Édit de Nantes et par conséquent déclarés « hors-la-loi ».

Un soir, l’intendant du Languedoc Bâville les avait chargés d’une mission : mettre la main sur un meneur, un certain Laurent Ravanel, inspiré et prédicant au Désert, peigneur de laine de profession, compagnon de Cavalier, et connu pour les assemblées clandestines qu’il tenait dans la région. Leur plan était de lui tomber dessus par surprise. Ils partirent à pied dans la montagne, déguisés en bergers.

Luttant contre les tourbillons de neige, ils parvinrent péniblement à une bergerie à l’entrée du hameau où habitait ce Ravanel.

Leur jeune capitaine, Gabriel de Vignancourt de Pétigny-Pervanchelles, avait décidé de garder pour lui la gloire de ce fait d’armes; il enjoignit à ses hommes de rester dans la bergerie, prêts à accourir au premier signal. 

Et le voilà parti, seul, vers la maison du rebelle ; il appuie sur le loquet et la porte s’ouvre.  La fille de Ravanel était là, devant lui, une enfant, âgée de sept ou huit ans tout au plus. Pâle et droite dans un grand châle noir, pétrifiée devant ce visiteur du soir à la dégaine peu rassurante qui débarquait chez elle.

A la vue de ce berger inconnu, couvert de neige, au visage fermé, elle eut peur, la fille du prédicant. Que faisait là cet étranger ? Mais son doux visage s’éclaira d’un sourire… et elle se jeta à son cou ! 

Le dragon surpris restait coi, ne sachant que dire, regardant autour de lui : sur la nappe blanche de la table, un bouquet de houx jaillissait d’un pichet, deux assiettes de faïence, un bougeoir d’étain, une chandelle allumée ; tout n’était que paix et sérénité.

– Entrez, je vous attendais, dit la petite.

– Où est ton père ?

– Parti dans la montagne pour l’office de Noël ; mais vous prendrez bien la soupe de castagnes, toute chaude et des beignets de sarrasin au miel, avec un bon vin chaud épicé à la girofle ?

– Tu m’attendais, dis-tu ?

– Bien sûr, c’est vous le visiteur de Noël.

– Le « visiteur de Noël » ? 

– Oui, celui que Mamée m’avait annoncé.  

Elle me disait souvent : « Si un visiteur frappe à ta porte un soir de Noël, ouvre-lui vite ; c’est peut-être un fugitif qui court dans la montagne pour échapper à ceux qui nous persécutent, et que le Seigneur nous envoie. Ou c’est peut-être un ange qui parcourt la terre pendant la sainte Nuit pour annoncer la Bonne Nouvelle de la naissance du Sauveur. Il doit toujours y avoir pour lui une assiette à remplir de soupe chaude et un bon feu pour qu’il y délasse ses pieds. Après, il te bénira toi et les tiens ».

Un peu gêné, l’homme détourna la conversation :

– Comment t’appelles-tu petite ?

– Droulette, pour vous servir.

– Eh bien, Droulette, j’ai faim et j’ai froid. Sers moi donc à dîner ; nous attendrons ton père ensemble.

– Mon papa aussi doit avoir faim et froid dehors par une nuit pareille, mais il faut bien qu’il aille porter la Parole de Dieu à tous ceux qui se cachent dans les grottes, poursuivis, traqués.

Par reflexe, le dragon demanda : 

– Dans quelles grottes, le sais-tu ? Mais aussitôt, il se mordit la lèvre.

Comme si elle n’avait pas entendu, la petite poursuivit :  

– C’est terrible quand ils se font prendre, si vous saviez ! Ils sont jetés en prison, envoyés aux galères et le plus souvent massacrés. Je tremble chaque fois que je vois partir mon papa, car je ne sais jamais s’il va revenir, comme beaucoup d’autres, mais je suis si heureuse que le Seigneur se serve de lui pour donner de l’espérance et de la lumière à tous ces pauvres gens.

En entendant ces mots, Gabriel de Vignancourt ne put porter sa cuillère à la bouche. Tout à coup, il ne pouvait plus rien avaler !  Il se rappelait une « assemblée » surprise en pleine nuit et transformée en carnage ; il entendait les cris de ceux qu’ils avaient transpercés, les supplications des femmes, épouses et mères, les hurlements des enfants et les dernières paroles du prédicant : 

– Vignancourt, Vignancourt, pourquoi nous persécutes-tu, toi qui te dis chrétien ?

Il n’avait plus faim, il avait hâte de partir. Mais Droulette, déçue, disait :

– Mon papa ne vous verra donc pas, mais… (elle hésitait, n’osait pas formuler sa requête…) mais pourriez-vous, avant de partir, me lire la belle histoire de Noël ?

Devant la mine ahurie de Gabriel, la petite fille ajouta :

– Je comprends le français, mais je ne le lis pas encore très bien. Papa rentre tard, fatigué, il n’aura pas le temps. Alors si vous ne voulez pas me lire la Bible, je n’aurai pas de Noël. S’il-vous-plait. 

Et en prière, elle joignit ses deux petites mains. Le brillant officier était incapable de prononcer une parole. 

Elle plaça alors devant lui un pauvre bouquin relié de parchemin usé, mal imprimé, corné. C’était le livre interdit, écrit en français ! 

Gabriel osait à peine le feuilleter, saisi d’une crainte et d’un respect étranges. Mais comment refuser à cette innocente ? Et malgré lui, il commença :

« Il y avait dans cette contrée des bergers qui couchaient aux champs, la nuit, pour garder leur troupeau. Un ange du Seigneur leur apparut… »

Lorsqu’il eut fini, il resta un long moment rêveur. Les paroles de Noël chantaient dans son cœur, éveillant de lointaines et étranges résonances. Il lui semblait qu’une enfance inconnue se glissait dans sa mémoire radieuse et pure.

– Je crois que… je crois que je ne pourrai pas être des vôtres ce soir, petite, si tu voulais m’excuser auprès de ton père…

Ne recevant pas de réponse, il leva les yeux. Droulette dormait, la joue posée sur ses bras repliés, une joue rose comme un pétale de fleur. Les cheveux bouclés se répandaient sur la table, pareils à une toison d’agneau. 

Gabriel sourit. 

– Dors ma Droulette, dors. N’aie pas peur, aie confiance ; je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour que ton père soit épargné. Je le jure sur cet Évangile qui nous est commun. 

Il chercha et trouva une plume et de l’encre et écrivit sur la page de garde du livre saint :

– Le visiteur de Noël priera pour toi et pour ton père.

Puis il ajouta en guise de post-scriptum : 

– Il faut vous cacher, d’autres visiteurs – moins bienveillants – pourraient venir.

S’inclinant alors devant la mignonne endormie, aussi profondément qu’il l’eût fait à Versailles, il quitta celle qui serait désormais dans son cœur, la petite sœur qu’il n’avait jamais eue.  Il ouvrit la porte et s’enfonça dans la nuit. 

Dans la bergerie, ses camarades se tenaient recroquevillés sous leurs manteaux.

– Holà ! cria Gabriel dans les ténèbres, allons-nous en, j’ai tout retourné dans cette maison, je n’ai trouvé personne. Ah, on les a prévenus de notre visite et ils ont dû s’enfuir. Rentrons en ville, nous trouverons peut-être quelques restes de ce réveillon qui nous est passé sous le nez. 

Et il les entraîna sans peine.  Le chemin lui parut moins dur qu’à l’aller, car il portait en lui  une force et une lumière nouvelles. 

Et à mesure que Gabriel avançait vers son destin, là-bas, de l’autre côté de la montagne, un homme descendait rapidement, un livre sous le bras, vers une pauvre maison où l’attendait une petite fille endormie et confiante.

L’aube de Noël se lèverait bientôt. La mille six cent nonante-huitième aube depuis la naissance d’un petit enfant pour qui les anges avaient proclamé :

« Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté. »

Extrait de  Protestants dans la Ville    

Lu sur le site les Avents de Nicole et Pierre

Adaptation : Bernard Locoge

Pour Noël 2025

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