par Martin Hoegger*
Arusha 14 mars 2018. Jusqu’où l’éducation théologique est-elle missionnaire? Comment peut-elle contribuer à la formation à la mission? Comment ces questions se posent-elles dans l’apprentissage de la théologie ? Telles ont été quelques une des questions auxquelles ont répondu des spécialistes en missiologie, lors la 14e conférence missionnaire mondiale organisée par le Conseil œcuménique des Eglises.
Prière, expérience et études
Dans la séance plénière consacrée à la formation missiologique, les participants devaient répondre à cette question : quelle est, selon vous, la question la plus importante dans la formation ?
Prière, études, expérience sont les trois ingrédients de la formation qu’il ne faut pas séparer, dit Richard Nnyonbi, prêtre catholique du Kenya.
Kersteen Kim, missiologue au Collège théologique Fuller en Californie (et ancienne présidente de la Commission Mission et Evangélisation du COE), souligne le dernier commandement de Jesus : annoncer l’Evangile à tous (Matthieu 28). La formation doit nous ouvrir à l’humanité entière. Elle implique certes la prière et le relationnel, mais aussi l’éducation : « Enseignez-leur tout ce que je vous ai enseigné » !
Pour l’Archeveque Makarios, de Eglise orthodoxe grecque du Kenya, le plus important est avant tout de vivre la vie à laquelle on appelle. Cela implique en particulier de ne rejeter personne : chacun est créé à l’image de Dieu.
Pour le professeur pentecôtiste Kwabena Asamoah-Gydu, du Ghana, le plus important est de respecter les Ecritures. La transformation de notre mentalité à laquelle l’apôtre Paul appelle, signifie un processus. Ici bas nous ne serons jamais arrivés !
Quand deux fleuves se rencontrent !
J’ai aussi participé à un passionnant séminaire avec une trentaine d’enseignants. Les participants venaient de contextes très différents : sud ou nord; orthodoxes ou catholiques; protestants « mainline » ou pentecôtistes/évangéliques. Deux études de cas ont été présentées pour décrire les rapports entre formation à la mission et éducation théologique.
Wesley de Souza, directeur du Collège théologique Candler de l’université Emory au Brésil, a commencé par une parabole.
En Amazonie, les eaux du Rio Negro et du Rio Solimoës ne se mélangent pas à leur jonction, mais seulement après une dizaine de kilomètres ! L’un est plus chaud, acide et très ancien, l’autre est plus jeune, plus froid. La première rivière n’a que peu de poissons alors que la seconde est très poissonneuse !
L’orateur compare alors la théologie classique avec le premier fleuve et la théologie contextuelle avec le second : elle est plus récente, orientée vers la mission et davantage en phase avec la pratique.
Dans le collège Candler (Méthodiste), les cours de missiologie sont très suivis. On y passe au crible fin le document missiologique le plus important du mouvement oecuménique sur la mission et l’évangélisation : « Ensemble pour la vie ».
« Dans cet institut l’éducation contextuelle est la clé: « learning by doing », on apprend à partir de la vie et de la pratique ».
Les défis ? Lutter contre l’intellectualisme et le manque de spiritualité ! De plus, alors que la missiologie devrait traverser tous les programmes, les cours de missiologie sont considérés comme un département en soi, comme si la théologie n’était pas missiologique de bout en bout.
De Souza est en effet convaincu que la théologie doit trouver son expression dans des activités missionnaires. « Action et réflexion devraient s’enchaîner. Chaque réflexion devrait conduire à une nouvelle action. Mais cet enchaînement n’est pas encore vraiment intégré ».
Regardant alors le grand plafond du Centre de conférences de N, près d’Arusha, il ajoute : « de même qu’une ligne de force soutient un plafond, la structure missionnaire doit être la ligne de force de l’enseignement théologique. Il s’agit en fait d’en prendre conscience. Sans cela il n’y a pas de transformation possible de l’enseignement».
Comment renouveler l’enseignement théologique ? Questionnements !
Pour la discussion en groupe, je me retrouve avec une majorité d’orthodoxes. John Njororge, du Kenya, enseigne à la fois dans deux séminaires orthodoxe et méthodiste. Il constate qu’enseigner la missiologie ne signifie pas que les étudiants l’intègrent : « On ne peut attendre des étudiants qu’ils appliquent tout de suite ce qu’ils ont appris. De plus il n’est pas facile de contextualiser l’orthodoxie en Afrique »
Catherina Pastukova a travaillé un temps avec la Commission Foi et Constitution à Genève. Elle enseigne maintenant la psychologie de la religion, à Minsk en Biélorussie. Dans sa faculté de théologie la missiologie est un cours obligatoire : « Nous formons une nouvelle génération de prêtres davantage conscients de la mission »
Eric Tosi a été prêtre à Las Vegas où il a accompagné de nombreux artistes d’Hollywood ! Il est maintenant le secrétaire de l’Église orthodoxe des Etats Unis. Il constate que son Eglise a perdu sa veine missionnaire d’autrefois. Aux USA elle est trop liée aux cultures d’origine des immigrants orthodoxes. L’enjeu de la formation théologique est de redonner cet élan missionnaire.
Quand au professeur pentecôtiste coréen Wonsuk Ma, qui enseigne au collège théologique Fuller au USA, il se demande s’il y a une hiérarchie dans l’enseignement : la théologie systématique et biblique est-elle supérieure aux autres? D’après lui, c’est l’Eglise qui doit influencer la formation théologique, et non le contraire. Un réveil dans l’Eglise conduira à un renouveau de l’enseignement théologique.
L’Eglise une institution ou une expédition ?
Carlos Ham, ancien directeur du département d’évangélisation du COE dirige actuellement le séminaire de Matanzas, à Cuba.
Il cite un grand missiologue, l’évêque Leslie Newbigin pour qui l’Eglise ne doit pas être une institution mais plutôt une expédition. Quel impact cela aura-t-il sur la formation théologique ? Comment préparer les pasteurs et les laïcs à devenir des explorateurs?
Comme l’orateur précédent il souligne l’importance du dernier document du COE sur la mission et l’évangélisation, dont il dégage cinq paradigmes :
– La formation doit tenir compte du contexte : étudier la Bible dans une main et le journal dans l’autre.
– Elle doit être interdisciplinaire
– Elle doit être sensible à des cultures différentes et réfléchir sur la religion populaire (Utiliser les tam tam dans le culte n’est pas un péché !)
– La mission est relationnelle et intégrale.
– Elle cherche à construire la communion. « Le défi principal du mouvement œcuménique, disait Philip Potter, un ancien secrétaire du COE, est de travailler avec Dieu pour faire du monde un « oikos », une maisonnée pour tous ».
De plus il ne faut jamais oublier, selon le mot de Desmond Tutu, que « l’Evangile a plus de sens pour ceux dont la vie est dure ».
C. Ham est convaincu que le futur de l’Eglise dépend de la formation théologique et que le futur de la formation théologique dépend de la missiologie.
Former à la communion
Dans le moment de partage en groupes nous sommes invités à réfléchir sur la question: comment voyez-vous le futur ?
Le norvégien Knut Joergenson, qui représente le Mouvement de Lausanne, estime que la formation spirituelle est essentielle et les protestants devraient s’inspirer des catholiques dans ce domaine.
L’Eglise de Norvège, avec son soutien étatique, est selon lui, davantage une institution qu’une expédition Dans ce cadre, à côté de l’université d’Etat, une faculté de théologie ecclésiale a été créée avec une dimension missionnaire et spirituelle forte.
Pour le professeur John Kaoma, de la République Centre-Africaine, l’enseignement doit inclure la dimension de la communion : « Il ne faut pas faire de la théologie seulement pour aller au ciel, mais aussi pour mieux se relier les uns aux autres dans la communauté ».
Quant à moi, j’ai partagé l’expérience de la nouvelle Haute Ecole de Théologie en Suisse romande, espérant que dans l’avenir – pour reprendre l’image des deux fleuves amazoniens – son courant rejoigne un jour celui des facultés de théologie protestante de Genève et de Lausanne.
La mission a une Eglise
L’Eglise en tant qu’institution constantinienne a besoin de pasteurs pour baptiser et pour accompagner ses fidèles. Mais a-t-elle besoin d’explorateurs ? Faut-il planter des tentes au lieu d’entretenir des bâtiments ? Dieu a-t-il besoin de bâtiments pour y habiter ?
Selon C. Ham, une « Eglise institution » ne doit pas être opposée à une « Eglise exploratrice ». En fait une expédition est temporaire et elle a besoin de l’institution.
Concluons avec ce propos provocateur : « Durant 2000 ans nous avons dit que l’Eglise a une mission dans le monde. Aujourd’hui il faut dire que la mission de Dieu dans le monde a une Église…laquelle a une formation théologique ! »
* Pasteur de l’Eglise réformée du Canton de Vaud, Martin Hoegger est co-président de l’assemblée du R3. Il exerce son ministère dans la communauté de Saint Loup et collabore au projet « Jésus Célébration 2033 ». Il voue aussi une partie de son temps à l’accompagnement spirituel d’artistes.
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Cela rejoint tout-à-fait l’expérience que nous avons eu la joie et la grâce de vivre au cours de la session de formation à la spiritualité de communion pour le CCRFE à Fribourg le mois passé! La conjonction entre la formation théologique et la spiritualité (Evangile vécu) est la direction dans laquelle nous devons aller et est féconde.