Le fil à plomb. C’est une très belle image que le prophète Amos reçoit du Seigneur (Amos 7.7-17). Il voit un fil à plomb qui permet de mesurer si le mur que l’on construit monte droit. Luc Badoux nous permet d’approfondir cette métaphore et de l’appliquer à notre vie. Dans le contexte politique actuel, cette métaphore est explosive !
Amos est précisément chargé par le Seigneur de faire savoir à Israël que leur mur ne monte pas droit, que la société qu’ils bâtissent et les rapports humains qu’ils établissent ne s’élèvent pas de façon droite.
On est en 760 av JC. Amos arrive de son village de Técoa, situé dans le Royaume de Juda où il est berger. Il monte dans le Royaume d’Israël plus prospère que Juda. Il monte dans le Nord comme en France on monte à Paris. Puisqu’à ce moment-là le grand voisin qu’est l’Assyrie a d’autres chats à fouetter que de menacer Israël, les gens de Samarie peuvent s’adonner au commerce. Certains font beaucoup d’argent. C’est un temps d’opportunités économiques. Amassia, prêtre du sanctuaire royal de Bethel participe à cette prospérité. L’important pour Amassia comme pour le roi, c’est que le mur qu’Israël élève monte haut.
Amos vient lui dire de la part du Seigneur que peu importe la hauteur du mur, il doit monter droit, en respectant les droits du plus faible.
Amos ne dit pas les choses aussi poliment que moi aujourd’hui. Ses propos sont incendiaires. Ce qu’il annonce à Amassia qui refuse de l’écouter fait froid dans le dos : « Ta femme sera réduite à se prostituer, tes fils et tes filles seront massacrés, toi-même tu mourras en pays païen et la population d’Israël sera déportée loin de sa patrie. »
Il faut dire qu’Amassia de son côté méprise Amos et la parole qu’il porte. Ce petit berger venu d’une région pauvre du sud d’Israël ne récolte que son mépris. Amassia veut renvoyer Amos d’où il vient. Amassia incarne l’arrogance des puissants, de ceux qui savent, de ceux qui sont bien établis. Il ne voit pas ce que vient faire au temple ce berger sans instruction, cet empêcheur de commercer en rond. Que peut-il comprendre de Dieu, lui qui ne voit pas tout ce que fait Amassia pour que le sanctuaire de Bethel prospère ?
Amassia a deux problèmes : c’est premièrement que Dieu ne s’intéresse pas d’abord à la prospérité du sanctuaire de Bethel et deuxièmement que le sanctuaire de Bethel n’impressionne pas Amos. Ce que Dieu donne de voir à Amos, c’est l’injustice sociale, c’est le riche qui vend comme esclave le pauvre qui lui doit de l’argent. Amos découvre un système juridique qui humilie les faibles. Il voit aussi les moeurs sexuelles débridées des pères et des fils qui couchent avec une même femme. Ce qui le frappe, c’est l’absence d’égards pour les plus petits, l’absence de compassion pour les gens en difficulté, l’absence de respect pour les commandements de Dieu. Amos arrive en Israël avec un regard neuf et extérieur, et au travers de lui, c’est le Seigneur qui regarde Israël. Le Seigneur ne se laisse pas impressionner par la prospérité de Samarie mais par le niveau d’injustice. Le Seigneur veut que la prospérité profite à tous. Ce qu’il veut c’est la compassion. Légalement, le pauvre qui doit de l’argent et ne peut pas le rembourser est en situation d’être vendu pour payer sa dette, c’est vrai. Mais un riche qui fait cela à son frère en Israël déshonore le Seigneur, même s’il est dans la légalité. L’important aux yeux du Seigneur n’est pas que le mur que construit Israël monte haut, c’est qu’il monte droit.
Pour comprendre cela et ce que cela implique, il faut que tous – et les prêtres en premier – recherchent le regard du Seigneur et sa Parole. «Réveillez-vous, gens d’Israël, sachez que le Seigneur ne reste pas enfermé dans le sanctuaire, il en sort et regarde autour de lui. » Le Dieu dont Amos parle é Amassia va au marché et il observe comment les marchands se comportent. Il va dans les rues et voit les maisons des riches et les conditions dans lesquelles vivent les pauvres. Il observe les gens, leur fidélité, les comportements entre hommes et femmes, leur rapport à la sexualité. Il en conclut que les sacrifices que lui offrent les Israélites sont sans valeur. Ils ne correspondent pas à l’offrande d’un coeur bien disposé.
Israël a besoin du fil à plomb de la Parole de Dieu. Israël doit s’en saisir et se demander devant Dieu comment gérer la richesse et la prospérité. Mais Amassia, tout prêtre qu’il est, ne veut pas de ce fil à plomb. C’est pour cela qu’il disqualifie Amos en le traitant d’agitateur politique parce qu’il parle de compassion et de justice. « Si Amos veut jouer les prophètes, qu’il le fasse chez lui, à Juda. » « Qu’Amos retourne dans son village de Técoa, que Dieu reste au sanctuaire et les vaches seront bien gardées. » Voila ce que veut Amassia en bon gestionnaire du temple. Résultat : tout le monde pourra continuer à mener sa vie comme il l’entend.
Mais, au travers d’Amos, c’est le Seigneur lui-même qui sort de ce sanctuaire où tous essaient de l’enfermer. C’est lui qui vient avec son fil à plomb juger de la droiture de ce que chacun construit et c’est lui qui annonce que sa colère sera dévastatrice pour beaucoup.
Je pense qu’ici dans la paroisse, on boit du petit lait en entendant ça. Parce qu’on sait bien que Dieu ne nous donne pas rendez-vous seulement le dimanche au culte ou quand nous le prions. Et on se propose d’aller secouer nos politiciens et le Synode et le Conseil synodal et de leur apporter un fil à plomb.
C’est juste ! Nous avons la responsabilité d’exercer un rôle prophétique dans le monde et jusque dans l’Eglise, de porter le fil à plomb de la Parole de Dieu partout où des murs sont dressés haut sans monter droits. Dieu nous donne sa parole pour que nous interpelions le monde, les médias et l’Eglise. Et je pense que l’on a tous en tête des points précis sur lesquels nous voyons notre monde perdre le nord. Ce rôle prophétique demande du courage, de la pugnacité, de la clairvoyance pour s’engager dans les bons combats. Les lettres de Paul nous appellent à prier pour nos autorités mais Amos nous ouvre aussi le chemin pour les interpeler. C’est ce que fait le R3, le Rassemblement pour un renouveau réformé que préside Gérard Pella et dont plusieurs fidèles ici sont membres.
Mais la 1ère étape sur ce chemin d’interpellation, c’est toujours de commencer par … soi-même, par appliquer le fil à plomb à sa propre vie. Nous courons en effet tous le risque de nous focaliser sur ce que le fil à plomb démontre quant aux compromissions des autres suivant l’histoire de la paille et de la poutre.
Je pense qu’on a tous des domaines dans lesquels on veille à être droit, à exercer la droiture selon Dieu. Et d’autres domaines auxquels on est moins sensibles.
Pour appliquer le fil à plomb de la parole de Dieu à nos vies, c’est important qu’on ne disqualifie pas les interpellations d’autres chrétiens qui mettent des accents différents des nôtres. Sinon, on risque de faire exactement comme le riche et cultivé Amassia faisait avec Amos qui venait du Sud sous-développé. Attention à l’arrogance de ceux qui savent, des nantis, de ceux qui par une longue appartenance à l’Eglise ont domestiqué Dieu et sa Parole. Derrière celui qui nous interpelle, c’est peut-être le Seigneur qui nous parle.
Moi qui suis pasteur, un homme cultivé, d’une famille bien établie dans un pays prospère, j’ai un profil un peu trop proche de celui d’Amassia pour ne pas prendre très au sérieux les paroles menaçantes d’Amos pour moi-même.
Ainsi, avant de penser à tout ce que les autres ont à changer, dans la société qui s’éloigne de Dieu ou dans l’EERV, je dois me saisir du fil à plomb de la Parole de Dieu pour ma propre vie. Qu’en est-il de mon rapport à l’argent et à la propriété. Qu’en est-il de mon rapport aux plus démunis qui habitent tout près de chez moi (à la rue Général Guisan) ? Qu’en est-il de la construction morale de ma vie ? des relations dans ma famille ? de la façon dont on y prend soin des aînés ? Que le fil à plomb de la Parole de Dieu me préserve – et vous avec moi – de fermer les yeux sur ce qui m’arrange et de faire du Seigneur quelqu’un que l’on écoute pour les autres mais pas pour soi-même. Qu’il nous préserve de domestiquer sa Parole et d’en faire une Parole inoffensive quand elle s’attaque à nous.
Chers amis, y a-t-il un domaine de nos vies dans lequel le mur que nous construisons ne monte pas droit ?
Et une fois qu’on a utilisé le fil à plomb de la Parole de Dieu pour nos propres vies, il nous faut oser porter courageusement la parole prophétique à ceux pour qui on la reçoit. Veillons à le faire à la manière de Jésus puisque ce n’est pas d’Amos dont nous sommes les disciples mais de Jésus qui annonce d’abord une bonne nouvelle en disant : « Heureux ceux qui ont faim et soif de vivre comme Dieu le demande, car Dieu exaucera leur désir ! 7 Heureux ceux qui ont de la compassion pour autrui, car Dieu aura de la compassion pour eux ! » Matthieu 5 6