A l’approche de Noël, Alain Décoppet nous permet de mieux comprendre la généalogie de Jésus au début de l’évangile de Matthieu. Cette étude a été écrite pour les Amitiés judéo-chrétiennes de Suisse romande.

Les Chrétiens qui n’ont pas renoué avec leurs racines juives sont très souvent complètement inconscients de la manière dont les auteurs du Nouveau Testament étaient pétris de la Tradition orale d’Israël. Par exemple, la généalogie de Jésus qu’on trouve dans les 17 premiers versets de l’Évangile selon Matthieu (donc le texte qui ouvre le Nouveau Testament) est souvent sautée, car considérée comme ennuyeuse. Pour ceux qui la lisent malgré tout, elle est tout au plus une information leur indiquant que Jésus était un descendant de David et d’Abraham. Il ne se rendent pas compte que pour les auteurs bibliques, donner la généalogie d’un personnage qu’on présente, c’est comme en donner la carte d’identité.

Mais il y a plus : dans le Midrash Rabba, j’ai trouvé un texte qui offre des similitudes étonnantes avec le chapitre premier de Matthieu, et lui donne un éclairage intéressant. Le Midrash Rabba est un commentaire systématique des cinq livres de la Torah et des cinq Rouleaux (Ruth, Cantique, Qohéleth, Lamentations et Esther) ; pour cela il rassemble les différentes explications rabbiniques remontant aux premiers siècles de l’ère commune – peut-être même avant. Le chapitre 15 de Chemot (Exode) Rabba a recueilli diverses interprétations d’Exode 12.2 : 

« Cette lunaison est pour vous, tête des lunaisons » (Traduction Chouraqui) ; au §26, on trouve le commentaire suivant :

« Autre interprétation. « Ce mois (= cette lunaison) sera pour vous… » : Voici ce qui est écrit : « En ses jours justice fleurira et grande paix jusqu’à la fin des lunes » (Ps 72.7). Avant même la sortie d’Égypte, le Saint béni soit-il fit savoir à Israël par allusion que la royauté ne durerait pas plus de trente générations, comme il est dit : « Ce mois sera pour vous en tête des autres mois » (12. 2). Un mois compte trente jours et votre royaume ne durera pas plus de trente générations. Le premier jour de Nissan, la lune commence à briller et sa lueur ne cesse de croître jusqu’au quinze du mois, puis elle devient pleine. Mais du quinze au trente, sa lumière diminue et le trentième jour, la lune devient invisible. De même, il y a quinze générations d’Abraham à Salomon. »

Ensuite l’auteur énumère quatorze générations pendant lesquelles la lune croît, représentées par les noms des descendants d’Abraham jusqu’à David. Le lecteur attentif remarquera que cette liste est rigoureusement identique à celle qu’on trouve dans Matthieu 1.1-6. Salomon forme la quinzième génération ; l’auteur note à son propos :

« C’est à l’avènement de Salomon que la lune fut pleine, comme il est dit : « Salomon s’assit sur le trône de Yahvé pour régner » (1Ch 29.23). »

Et le commentateur d’expliquer les similitudes entre YHWH et Salomon en citant des textes bibliques qui utilisent des termes semblables pour décrire leurs deux trônes. Et il continue : « Par la suite, les rois se mirent à décliner ». Pour le démontrer, il énumère les descendants de Salomon, Jusqu’à Sédécias, au moment de l’exil à Babylone, à propos duquel il précise :

« À l’avènement de Sédécias, dont il est dit : « Puis il creva les yeux de Sédécias (Jr 39,7) la lumière de la lune vint à cesser. Pendant toutes ces années, Israël avait beau pécher, les Patriarches priaient pour eux et maintenaient la paix entre Israël et Dieu (ha-maqom), comme il est dit : « Écoutez, montagnes, le procès de Yahvé » (Mi 6.2). Jusqu’à quand les Patriarches prièrent-ils pour Israël ?

Jusqu’à ce que Sédécias perdît ses yeux et que le Temple fût détruit, comme il est dit : « Et une grande paix jusqu’à l’extinction de la lune » (Ps 72,7). Autrement dit, pendant les trente générations qui s’écoulèrent depuis l’instauration de la royauté. »

Exode Rabba arrête ici la généalogie ; il conclut simplement :

« Par la suite, qui assura la paix à Israël ? Dieu lui-même, comme il est dit : « Que Yahvé te découvre sa face et t’apporte la paix ! » (Nb 6,26). »

Les rabbins du Chemot Rabba expriment ici leur confiance en la fidélité de YHWH qui continue à regarder Israël avec amour et à lui donner sa paix.

La généalogie de Jésus, dans l’Évangile de Matthieu reprend la même lunaison d’Abraham à l’Exil, mais au lieu de compter quinze générations, elle en note quatorze, sans doute à cause de David dont la valeur numérique est de 14 (ד D, 4 + ו W 6, + ד D 4 = 14). Pour Matthieu en effet, c’est David et non Salomon qui est le point culminant de la lunaison. Autres différences : la descendance de Salomon est en gros semblable dans les deux textes, même si, pour avoir le nombre voulu, certains maillons sont sautés chez Matthieu. On remarquera aussi qu’à l’Exil, ce n’est pas Sédécias qui est nommé, mais Yekoniah et ses frères. Pour Matthieu, il est le point de départ de quatorze nouvelles générations, qui, en passant par Zorobabel, aboutiront à Jésus présenté comme Messie. En recommençant une lunaison, Matthieu veut nous dire que Jésus est au point culminant d’une nouvelle lunaison. Comme Salomon dans le Midrash Rabba il est fils de David et s’est assis dans le trône de YHWH.

Alain Décoppet

Pour une synapse précise entre le texte de Matthieu 1 et celui du midrash, veuillez cliquer sur ce lien :

https://www.ler3.ch/wp-content/uploads/2020/12/Matthieu-1.1-17-et-ExR-15.26-synopse-2.pdf

La généalogie de Jésus et le Midrash

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