Christophe Desplanque, pasteur de l’Eglise Protestante Unie à Alès, commente pour nous l’ évangile de Luc au ch 9, versets 51-62 :

51Or, comme arrivait le temps où il allait être enlevé du monde, Jésus prit résolument la route de Jérusalem. 

52Il envoya des messagers devant lui. Ceux-ci s’étant mis en route entrèrent dans un village de Samaritains pour préparer sa venue. 

53Mais on ne l’accueillit pas, parce qu’il faisait route vers Jérusalem. 

54Voyant cela, les disciples Jacques et Jean dirent : « Seigneur, veux-tu que nous disions que le feu tombe du ciel et les consume ? » 

55Mais lui, se retournant, les réprimanda. 

56Et ils firent route vers un autre village.

57Comme ils étaient en route, quelqu’un dit à Jésus en chemin : « Je te suivrai partout où tu iras. » 

58Jésus lui dit : « Les renards ont des terriers et les oiseaux du ciel des nids ; le Fils de l’homme, lui, n’a pas où poser la tête. »

59Il dit à un autre : « Suis-moi. » Celui-ci répondit : « Permets-moi d’aller d’abord enterrer mon père. » 

60Mais Jésus lui dit : « Laisse les morts enterrer leurs morts, mais toi, va annoncer le Règne de Dieu. »

61Un autre encore lui dit : « Je vais te suivre, Seigneur ; mais d’abord permets-moi de faire mes adieux à ceux de ma maison. » 

62Jésus lui dit : « Quiconque met la main à la charrue, puis regarde en arrière, n’est pas fait pour le Royaume de Dieu. »

Ces  paroles de Jésus sont prononcées sur le chemin, en route. Nous aussi, en tant que peuple de Dieu, nous sommes en route. Pas encore arrivés.  Tout est donné en Jésus-Christ, mais rien n’est achevé. Tout est accompli une fois pour toutes par Jésus, mais tout reste à faire. Tout est écrit, tout est décidé par Dieu, dans son plan éternel, et pourtant tout est entre nos mains. C’est le côté contradictoire, paradoxal de la vie chrétienne, mais c’est cette contradiction apparente qui nous fait avancer sur le chemin que Dieu veut pour nous.

Et ce chemin n’est pas toujours jonché de pétales de roses ! Ce jour-là, Jésus se heurte à un mauvais accueil, et même à un refus d’hospitalité. Il n’est pas le bienvenu en Samarie pour des raisons ethniques  et religieuses. Juifs et samaritains sont ennemis de longue date, et ils ne se fréquentent pas. Le communautarisme ne date pas d’hier. Notre monde vit dans un climat d’affrontements qui provoquent depuis toujours des millions de morts, de persécutés, de réfugiés. Aujourd’hui plus que jamais des familles idéologiques, des cultures, des volontés opposées entrent en conflit, en débat frontal. La dureté et la violence des attaques est frappante, qu’il s’agisse de violence verbale, ou physique, y compris dans notre pays démocratique. Les temps de crise sont propices au rejet, au repli sur soi, qu’il s’exprime par les armes ou par un vote… Tout change, tous les équilibres sont bouleversés, tout est remis en question, l’économie, l’emploi, le climat, la famille, la notion même d’être humain, l’avenir…, alors chacun cherche un refuge pour préserver ce à quoi il tient, et l’étranger, celui qui pense différemment, qui vit différemment, qui vient d’ailleurs, représente une menace qui fait peur. Cette peur alimente l’hostilité, et même l’agressivité  envers tout ce qui semble menacer le dernier pré-carré de nos équilibres, de nos sécurités, de nos conforts. Et l’Evangile que les disciples de Jésus apportent dérange, ce qui nous pousse parfois à nous taire alors qu’il est urgent de l’annoncer.

Jésus traverse la Samarie, il vient rompre l’équilibre du « chacun chez soi et tout le monde sera en paix ». Ce n’est pas la seule rupture dont parle ce récit de l’Evangile de Luc. Il y est question d’autres affrontements, de conflits entre des volontés opposées, non seulement celles de Jésus et des samaritains, mais aussi entre la volonté de Jésus et celle de ceux qui voudraient le suivre.

Le ministère en Galilée est terminé, Jésus décide fermement de se rendre à Jérusalem, où il sait que l’attendent l’arrestation, un jugement inique, les souffrances et finalement la mort sur la croix. Et sur ce chemin-là, l’hostilité des samaritains qui ne le reçoivent pas sonne comme un signe précurseur. Elle annonce le rejet de Jésus par les hommes. Mais sa volonté d’aller à Jérusalem est inébranlable. Pour exprimer cet état d’esprit, Luc écrit que Jésus « durcit son visage », selon l’expression que retient l’évangéliste,  en l’empruntant à un des chants du serviteur souffrant, dans le livre d’Esaïe.

Jésus est fermement décidé à aller au bout de sa mission et à affronter la mort. Notre Seigneur n’est pas un mou, un tiède, un indécis. Si on ne le reçoit pas dans un village, il ira dans un autre.  Rien ne l’arrêtera.  Une bonne nouvelle se trouve  ici : notre Seigneur va jusqu’au bout de son combat pour nous.

La mission que le Père lui a confiée passe avant tout. Et cette urgence, cette priorité, il la fait comprendre à tous ceux qui veulent le suivre et qui n’ont pas mesuré le prix à payer : par exemple, à celui qui s’engage un peu à la légère à le suivre partout, Jésus rappelle ses conditions d’existence errante, nomade, lui qui vit quasiment comme un SDF. Jésus n’a pas un petit nid douillet où se poser entre deux missions. A celui qui souhaite rendre les derniers devoirs à son père défunt, il enjoint de donner la priorité à l’annonce du Règne du Dieu vivant. Quant à celui qui voudrait, avant de le suivre, se séparer convenablement de son entourage, et donc garder des liens avec sa famille, ses amis, son cadre familier, il le déclare inapte au service du Royaume de Dieu, entièrement tourné vers l’avenir.

Reconnaissons-le, cette exigence jusqu’au-boutiste nous choque, nous met mal à l’aise, nous découragerait même. Cela ressemble, osons le mot, à de la « radicalisation » ! La volonté sans concession de Jésus, cette exigence de dévouement absolu à la cause de l’Evangile serait-elle réservée à quelques fanatiques ? En tout cas elle se heurte aux exigences et aux conditions posées par ceux qui envisagent de suivre le maître : je veux bien te suivre, Seigneur, mais…  j’ai d’autres priorités, tu sais. Nous ne savons pas ce que ces trois candidats disciples ont décidé finalement. Luc ne nous le dit pas. Comme pour poser la question aux lecteurs que nous sommes : toi, que feras-tu ? Que décideras-tu, maintenant que tu sais ce que cela veut dire, suivre Jésus ?

Mais à la différence d’un djihadiste, Jésus ne veut pas user de la force ou de la violence, et il rabroue deux de ses disciples, Jacques et Jean qui en étaient tentés. Jésus est un jusqu’au-boutiste, certes, mais un jusqu’au-boutiste de l’amour. La seule violence dont il fait preuve, c’est celle de sa tendresse infinie pour chaque être humain qu’il rencontre et qu’il vient libérer et sauver d’une vie sans horizon, sans signification, sans profondeur. Car ce qu’il dit, au fond, à ces trois candidats disciples, ce n’est pas : « tu n’es pas digne », « tu ne seras pas à la hauteur », « tu n’es qu’un tiède, un mou » mais c’est plutôt : « n’aie pas peur ». Suis-moi vraiment, c’est-à-dire fais-moi vraiment confiance. Tu sais, le Royaume de Dieu, c’est une aventure qui vaut la peine d’être vécue à fond, jusqu’au bout. Ne laisse rien, surtout pas ton souci de sécurité, t’empêcher de me suivre sur ce chemin-là. Que rien ne te retienne ni ne te retarde.

Si vous avez déjà pris l’avion, vous avez certainement eu l’occasion d’écouter les consignes données avant le décollage. Il est notamment précisé aux passagers ce qu’il faut faire en cas d’évacuation de l’appareil après qu’il aura dû se poser en urgence : gagnez tout de suite les issues de secours, sautez dans le toboggan sans rien emporter avec vous, laissez tout sur place. Parce qu’à vouloir récupérer votre valise ou vos papiers ou autres objets précieux, vous allez perdre ou faire perdre aux autres les quelques secondes nécessaires pour avoir le temps d’échapper à la mort. Ces consignes n’ont qu’un seul but : augmenter les chances que les passagers survivent à un accident aérien.

Serait-il donc aussi vital, serait-il urgent à ce point d’annoncer et vivre l’Evangile au prix, s’il le faut, d’une rupture avec tous les liens, y compris les liens familiaux les plus sacrés ? Oui sans doute, car le monde meurt littéralement de ne pas connaître Dieu, d’être privé de ce seul chemin de Salut, et pour se faire connaître, le Seigneur a décidé de ne pas agir sans nous.

Pour vivre et annoncer l’Evangile du Royaume, il faut en connaître la charte. Quelle est la charte du Royaume de Dieu ? Sa constitution, son principe ? Le voici en une phrase  : Ce que tu donnes, tu le gagnes ; ce que tu veux garder, tu le perds. C’est ce qui est lâché, abandonné, perdu qui prend de la valeur, pas ce qui est conservé, protégé ou défendu. La vie donnée par Jésus sur la croix, parce qu’elle a été donnée, abandonnée pour nous, a une valeur inestimable. L’amour, c’est pareil. Plus vous donnez de votre amour, plus il grandit, plus il augmente. L’Esprit Saint qui anime ceux et celles qui ont mis leur confiance en Jésus-Christ est un Esprit généreux, un Esprit prodigue ! Certains manuscrits anciens reproduisent  cette parole de Jésus après qu’il a réprimandé Jacques et Jean pour leur accès de colère : « vous ne savez pas de quel esprit vous êtes, car le Fils de l’Homme n’est pas venu pour perdre les vies, mais pour les sauver ».

Sommes-nous sur ce chemin-là, ce chemin de confiance et d’obéissance que Jésus nous presse urgemment d’emprunter ? Sommes-nous prêts à y entrer ? Et surtout à y rester ?  AMEN.              

Jésus vient rompre l’équilibre du « chacun chez soi »
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