Qu’est-ce que je retiens de la onzième Assemblée générale du Conseil œcuménique des Églises (COE), qui a rassemblé plus de 4000 chrétiens venant de plus de 250 Églises, au palais des congrès de Karlsruhe, du 31 août au 8 septembre ?

Trois mots me viennent à l’esprit : amour, unité, et pèlerinage.


« Un œcuménisme du cœur »

Certainement le thème « l’amour du Christ mène le monde à la réconciliation et à l’unité » est original, quand on le place dans l’histoire de ces assemblées. « L’amour du Christ », si central dans la foi chrétienne n’avait en fait jamais été thématisé dans le COE.  Après les thèmes centrés sur Dieu des trois dernières assemblées – influence de l’ouverture au dialogue interreligieux – il se focalise sur le cœur de la foi : le Christ ressuscité qui nous aime et nous appelle à être artisans de réconciliation et d’unité. [1] Le temps est maintenant venu de « rendre compte de l’espérance qui est en nous » (1 Pierre 3,15) : si nous voulons rencontrer tous sans exclusion, c’est parce que le Christ est mort et ressuscité pour tous

Ce thème a inspiré à Agnès Abouom, (protestante du Kenya), la présidente du COE, l’expression « œcuménisme du cœur », qui était le fil rouge de cette assemblée. L’évêque Mary Ann Swenson, de l’Eglise méthodiste des USA, vice-présidente du COE, lui fait écho : « J’espère que cette assemblée nous permettra d’être plus parfaits dans l’amour. Que les gens puissent dire comme des premiers chrétiens « regardez comme ils s’aiment » ! » Le COE a voulu affirmer que la recherche de l’unité chrétienne s’enracine dans l’amour du Christ, à recevoir et à vivre entre nous. Il me semble que cela a été un peu vécu durant cette semaine bénie avec des frères et sœurs venus de toutes les Églises et des cinq continents !

L’amour est au centre du beau message final adopté par l’assemblée, dont voici les dernières lignes : « Son amour qui est ouvert à tout le monde, y compris celles et ceux qui font partie des « derniers », des « plus petits » et des « égarés » (en anglais : « the last, the least, and the lost ») … peut nous mener vers un pèlerinage de justice, de réconciliation et d’unité et nous donner des moyens d’agir à travers lui ».

Une unité à consolider et à élargir

Unité » est le deuxième mot que je voudrais évoquer. Unité d’abord avec Dieu ! L’union avec Dieu est en effet la source de l’unité entre nous. Toute l’assemblée était ancrée dans les études bibliques quotidiennes, les prières du matin et du soir où les participants ont prié à la fois ensemble et selon les différentes traditions liturgiques occidentales et orientales. Le coeur de la foi doit être le coeur de l’œcuménisme. Dans ce sens, l’archevêque anglican Justin Welby appelle à « être fort en ce qui concerne le coeur de notre foi, mais détendu en ce qui concerne ses limites ».

Au centre de « l’oasis de paix », la tente des célébrations au nom évocateur, se dressait une icône de la rencontre entre Jésus et la femme Samaritaine, symbole du désir du Christ de rencontrer chaque personne, de la transformer et de la mettre en route.

Les relations sont essentielles pour approfondir la communauté́ fraternelle des Églises membres du COE. L’orthodoxe roumain Ioan Sauca, son secrétaire général en est convaincu. Il souligne en particulier l’importance du Forum chrétien mondial, une plateforme entre le COE, l’Église catholique, l’Alliance évangélique mondiale et les Églises pentecôtistes, permettant d’élargir l’expérience de l’unité chrétienne. Il encourage le COE à continuer à lui apporter son soutien.

Un pèlerinage à travers les vallées obscures

Le thème du « pèlerinage » a été pris comme un paradigme du travail du COE, à la suite de sa 10e Assemblée à Busan (Corée) en 2013. Dès lors, le « Pèlerinage de justice et de paix » a visité de nombreux lieux de souffrances et d’injustices. L’image du pèlerinage renvoie à notre identité. Les premiers chrétiens étaient en effet appelés « les gens du chemin » (Actes 9,2).

Avant l’assemblée, des délégations du COE ont visité certaines plaies sanguinolentes dans le monde d’aujourd’hui, notamment l’Ukraine et le Moyen-Orient. Le pèlerinage de justice et de paix a traversé les « vallées obscures » de l’humanité où le Christ nous attend et nous appelle à vivre son amour, comme les questions climatiques, les injustices économiques, la violence exercée contre les femmes, la marginalisation des personnes vivant avec un handicap, les dégâts de la colonisation et l’exclusion des populations autochtones, et bien d’autres encore.

Avec plusieurs « mea culpa », un sentiment d’humilité a imprégné la vie de prière de l’assemblée. Les chrétiens venus des pays en guerre, ceux qui souffrent de la famine, de l’injustice, des catastrophes climatiques ont pu exprimer leur souffrance et leurs appels ont été entendus !

Les questions doctrinales et morales doivent aussi être discutées dans cet esprit du pèlerinage. Les pèlerins ont le temps : leur temporalité n’est pas celle de la société où il faut donner des réponses immédiates. Par exemple sur le thème de la sexualité, un document invite à une « Conversation sur le chemin de pèlerinage : cheminer ensemble sur les questions de sexualité humaine ».

William Wilson, président de la Pentecostal World Fellowship qui rassemble quelques 650 millions de chrétiens (davantage que les Églises membres du COE) pense que l’unité doit d’abord se vivre dans nos relations les uns avec les autres, puis dans notre mission de témoigner de la réconciliation en Christ. Il appelle à un pèlerinage de réconciliation vers l’année 2033. « En cette année-là nous célébrerons les 2000 ans de la Résurrection du Christ. Pourrons-nous partager ensemble l’amour du Christ ? Faisons des dix prochaines années une décennie de la réconciliation » ! Comme je collaborais aussi au stand tenu par l’initiative JC2033, qui invite à une préparation œcuménique de l’année 2033, nous avons eu un afflux de visiteurs après l’allocution de W. Wilson !

C’est ainsi que le pape François conçoit notamment l’œcuménisme. A chaque assemblée, le « Groupe mixte de travail » entre l’Église catholique romaine et le COE publie son rapport. Il est toujours attendu avec intérêt par les « œcuménistes ». Or cette année, il s’intitule justement : « Marcher, prier et travailler ensemble : Un pèlerinage œcuménique ». Ce titre reprend la méditation donnée par le pape François lors de sa visite au COE, à Genève en juin 2018.

Ce dernier l’a souvent affirmé : « L’œcuménisme se fait en chemin… L’unité ne viendra pas comme un miracle à la fin : l’unité vient dans le cheminement, c’est l’Esprit Saint qui la fait dans le cheminement ». Qu’il inspire à nos Églises les prochains pas de ce pèlerinage !

Les documents de l’Assemblée se trouvent sur https://www.oikoumene.org/fr

Martin Hoegger – www.hoegger.org

[1] Les thèmes des assemblées précédentes étaient :  Harare 1998 : « Tournons-nous vers Dieu, dans la joie de l’espérance ». Porto Alegre 2006 : « Dieu, dans ta grâce, transforme le monde ». Busan – Corée 2013 : « Dieu de la vie, conduis-nous vers la justice et la paix. »

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