Après avoir abordé la question du droit à la mort, notamment la question de la mort assistée., Olivier Bader nous invite à nous interroger sur une autre revendication contemporaine : le droit à la vie.
J’aimerais introduire ce thème en évoquant deux situations vécues au cours de mon ministère, concernant des parents dans l’attente d’un enfant.
Témoignages de Jérôme et Lucie (prénoms d’emprunt)
J+L sont mariés depuis 1 ans, quand L tombe enceinte. La grossesse se passe normalement jusqu’au moment de l’accouchement. L’accouchement est très long et compliqué. L’enfant meurt pendant les contractions et les médecins doivent intervenir en urgence pour sauver la maman.
Pour Jérôme, la peur de perdre son épouse le conduit à crier au secours à Dieu, alors qu’il n’est pas croyant. Ce sera pour lui le début d’un chemin de foi qui a abouti au baptême. Elle, croyante convaincue va vivre plusieurs mois de dépression, durant lesquels, elle ne peut pas prier. La foi naissance de son mari l’aidera à émerger.
Témoignage de Marc et Fabienne
M+F ont déjà deux enfants, ils en espèrent 4. Il se réjouissent de la 3ème grossesse jusqu’au moment où ils apprennent la forte probabilité que leur enfant soit trisomique. Une foule de questions se bousculent dans leur tête. Ils nourrissent des hypothèses et des peurs. Leurs convictions chrétiennes par rapport au respect de la vie dès sa conception sont ébranlées. La question de l’avortement est posée par l’entourage. Aussi, ils doivent choisir de faire ou de ne pas faire certains examens. Ils décident de garder l’enfant quoi qu’il arrive.
Vous pourriez certainement ajouter d’autres exemples de couples désireux d’enfants qui doivent renoncer à la parentalité après un long chemin d’espoir et de déception. D’autres couples qui réalisent leur projet au mépris des lois. Enfin, certains qui refusent d’avoir des enfants pour des motifs écologiques ou philosophiques…
Ces exemples posent une question existentielle :
Donner la vie, est-ce un acquis, un droit, un besoin, un devoir, une obligation, une option… ?
Problématique contemporaine
Autrefois, donner la vie était à la fois un devoir et une contrainte qui allaient de soi. Le mariage imposait la naissance d’enfants tant pour des raisons socioreligieuses, que pour des motifs économiques. Il fallait assurer la descendance et les moyens de vivre.
D’autre part, la naissance et la vie des enfants étaient accompagnées par beaucoup d’incertitude. Cela a changé.
Si autrefois la maladie et la mort étaient « normales », en particulier chez les enfants, aujourd’hui, elles sont perçues comme anormales. Ainsi, la mort d’un enfant à la naissance ou l’accueil d’un enfant handicapé sont perçus aujourd’hui comme un accident au caractère dramatique… L’impact traumatique chez les couples est donc plus fort.
Si autrefois l’accouchement était un événement à risques (mort de l’enfant ou de la maman, handicap), aujourd’hui, la naissance d’un enfant est un événement très contrôlé ; les risques sont repérés et limités.
Ainsi, on remarque une revendication à la vie et à la santé plus pressante.
- Comment cultiver un regard qui reconnait et intègre pleinement les limites de l’être humain, sa finitude, sa mortalité ? Ceci pour mieux appréhender les risques de la vie et les traumatismes qu’elle peut engendrer.
Je crois que la foi chrétienne peut aider l’homme d’aujourd’hui :
- à un regard plus juste et plus humble sur lui-même
- et surtout, à faire appel à la Grâce et à en vivre > abandon à Dieu.
Je vous propose quelques textes bibliques pour ancrer notre réflexion :
Job 42 (FC)
Il s’agit des dernières paroles de Job, au terme d’un long dialogue avec Dieu et ses amis. Job reconnait son ignorance quant à la souffrance et la justice de Dieu. Il s’en remet totalement à Dieu.
1 Alors Job répondit au Seigneur :
2 Je sais bien que tout est possible pour toi et que, pour toi, aucun projet n’est irréalisable.
3 Tu as dit : « Qui ose rendre mes projets obscurs en parlant sans rien y connaître ? »
Oui, j’ai parlé de ce que je ne comprends pas, de ce qui me dépasse et que je ne connais pas.
4 « Écoute, disais-tu, c’est à mon tour de parler ; je t’interrogerai et tu me répondras. »
5 Je ne savais de toi que ce qu’on m’avait dit, mais maintenant, je t’ai vu de mes yeux !
6 C’est pourquoi je retire ce que j’ai dit, je suis consolé alors que je suis sur la poussière et sur la cendre.
1 Corinthiens 1 (FC)
Dans ce passage, Paul rend les Corinthiens attentifs à leur condition modeste et au fait que Dieu en fait un sujet de force et de fierté.
26 Considérez, frères et sœurs, qui vous êtes, vous que Dieu a appelés : il y a parmi vous, du point de vue humain, peu de sages, peu de puissants, peu de personnes de noble origine.
27 Au contraire, Dieu a choisi ce qui est folie aux yeux du monde pour couvrir de honte les sages ; il a choisi ce qui est faiblesse aux yeux du monde pour couvrir de honte les forts ;
28 il a choisi ce qui est bas, méprisable ou qui ne vaut rien aux yeux du monde pour détruire ce que celui-ci estime important.
29 Ainsi, aucun être humain ne peut faire le fier devant Dieu.
30 Mais Dieu vous a unis à Jésus Christ et il a fait du Christ notre sagesse : c’est le Christ qui nous rend justes devant Dieu, qui nous permet de vivre pour Dieu et qui nous délivre du péché.
31 Par conséquent, comme le déclare l’Écriture : « Si quelqu’un veut faire le fier, qu’il mette sa fierté dans ce que le Seigneur a fait. »
- Un regard juste et humble
L’attitude de Job est exemplaire en ce sens. Ce récit raconte l’histoire d’un homme qui est l’objet d’une sorte de pari entre Satan et Dieu. Il peut être lu à différents niveaux.
Sur le plan théologique, il nous parle de la puissance du mal, de la souffrance, de la justice humaine et divine, du rapport entre actes et malheur et finalement de la grâce de Dieu…
Sur le plan psychologique ou « thérapeutique », ce long dialogue/monologue de Job peut aider celui qui passe par la souffrance à exprimer sa révolte ou son sentiment d’injustice. Durant 40 chapitres, Job se lamente et crie son innocence à Dieu et à ses amis qui cherchent à l’aider. Job et ses amis sont prisonniers d’une théologie de la rétribution, courante dans le Judaïsme de l’époque, comme aujourd’hui encore pour beaucoup.
Cette théologie est très simple, elle établit un lien entre nos actes et la grâce de Dieu. Dieu me bénira si je suis juste et fidèle ; Dieu me punira si je ne pratique pas le bien. Cette pensée est très présente dans l’AT. Entre deux, il y a une théologie un peu plus subtile que j’appelle « pédagogique ». Dieu permet la souffrance et des malheurs pour mon bien, par là il veut me sanctifier, me rendre meilleur…
Personnellement, j’ai résolu de distinguer clairement l’origine du mal et Dieu. Ce sont deux mondes ontologiquement distincts. Je ne peux concevoir que Dieu soit dit amour et qu’il nous envoie le malheur, même pour notre bien.
Je crois à deux vérités toutes aussi mystérieuses et inexplicables l’une que l’autre :
- Le mal, la souffrance et la mort appartiennent à notre condition humaine depuis toujours.
- Dieu, dans sa qualité de Père, de Fils et d’Esprit, vient à notre secours selon une intervention que je ne peux ni contrôler, ni expliquer.
Mais revenons à Job…
Au terme de ce long dialogue, Job reconnait son humanité et son incapacité à comprendre Dieu :
« Oui, j’ai parlé de ce que je ne comprends pas, de ce qui me dépasse et que je ne connais pas. »
Dans cet aveu, Job fait un premier constat :
Je suis un simple être humain et ne suis pas autoriser à disputer avec Dieu et à lui faire un procès. C’est une attitude d’humilité qui débouche sur la confession du péché.
« 6 C’est pourquoi je retire ce que j’ai dit, je suis consolé alors que je suis sur la poussière et sur la cendre. »
Paul Lui aussi parle de cette humilité. Il invite les Corinthiens à se considérer avec réalisme :
« Considérez, frères et sœurs, qui vous êtes, vous que Dieu a appelés : il y a parmi vous, du point de vue humain, peu de sages, peu de puissants, peu de personnes de noble origine. »
Puis il appelle à l’humilité :
« Ainsi, aucun être humain ne peut faire le fier devant Dieu. »
Mais selon Paul, Dieu fait quelque chose de positif de ce constat :
27 Au contraire, Dieu a choisi ce qui est folie aux yeux du monde pour couvrir de honte les sages ; il a choisi ce qui est faiblesse aux yeux du monde pour couvrir de honte les forts ;
28 il a choisi ce qui est bas, méprisable ou qui ne vaut rien aux yeux du monde pour détruire ce que celui-ci estime important.
Jésus, dans les Béatitudes et avec le vocabulaire de la bénédiction dit la même chose : Heureux les pauvres, les doux, les simples, les purs, ceux qui souffrent, …
2) Un regard d’espérance
En disant : « Oui, j’ai parlé de ce que je ne comprends pas, de ce qui me dépasse et que je ne connais pas. » Job fait un second constat.
Dieu est au-delà de ma réalité. En Lui s’ouvre un champ de possibilités que je ne peux pas imaginer. C’est une attitude d’espérance qui débouche sur la confession de foi.
« 2 Je sais bien que tout est possible pour toi et que, pour toi, aucun projet n’est irréalisable. »
« 5 Je ne savais de toi que ce qu’on m’avait dit, mais maintenant, je t’ai vu de mes yeux ! »
On sent que Job, au fil de sa souffrance, a fait l’expérience d’un avant et d’un après. Il a vécu une rencontre avec Dieu : « je t’ai vu de mes yeux ! »
Et une vérité qui semblait très théorique (« 2 Je sais bien que tout est possible pour toi et que, pour toi, aucun projet n’est irréalisable. ») devient une expérience vécue, mais vécue au cœur du malheur !
On retrouve le mouvement de l’abandon à Dieu dont je parlais dans mon article concernant le « droit à la mort ». De la naissance à la fin de la vie, l’être humain est appelé à une humilité face à Dieu,
- une humilité qui nous aide à tomber dans les bras de ce Dieu-Père,
- une humilité qui nous libère de nos revendications, de nos colères envers la vie, les autres, Dieu…,
- une humilité qui nous oblige à nous attendre à Dieu,
- une humilité enfin qui nous fait « expérimenter Dieu » : « je t’ai vu de mes yeux ! »
Conclusion :
En introduction, je demandais :
Donner la vie ; est-ce un acquis, un droit, un besoin, un devoir, une obligation, une option… ? Je crois que cela devrait rester de l’ordre d’une aspiration ou d’une espérance.
Le couple peut désirer l’enfant et l’enfant en bonne santé, c’est une aspiration fondamentale que Dieu a placée en l’être humain pour susciter la vie et la transmettre.
Mais le couple ne peut exiger l’enfant, ni sa santé, pas plus que son développement harmonieux. Il peut l’espérer, prier pour cela et puis s’engager à donner le meilleur de lui-même.
Mais il aura toujours et encore besoin de la grâce de Dieu ! Et c’est bien ainsi. Quelle chance de pouvoir crier, même au cœur des situations difficiles :
« Mais maintenant, je t’ai vu de mes yeux ! »
Amen !