Une réflexion d’Olivier Bader

Introduction

Je suis régulièrement interpelé par la question du « droit à la mort », lors de mes accompagnements de personnes en fin de vie. 

Les deux extrémités de la vie, la naissance et la mort cristallisent beaucoup de questions d’ordre philosophique, religieux, éthique et scientifique… Peut-être parce que ce sont les deux étapes de la vie que l’être humain maîtrise le moins. Entre deux, l’homme a une certaine influence sur la qualité de sa vie. Mais il ne peut contrôler ni la naissance, ni la mort. Et cela est difficile à accepter.

Aujourd’hui, on ne se contente plus de dire qu’un tel est mort accidentellement ou de mort naturelle. Dans tous les cas, on cherchera à connaître la cause, et souvent, on cherchera à désigner un responsable, voire un coupable. Cela dit beaucoup du regard que l’homme moderne porte sur la mort, qu’il considère comme quelque chose « d’anormal », une fatalité…

J’aimerais ici faire résonner quelques textes bibliques en réponse à cette revendication au contrôle de sa mort.

Psaumes 16 (TOB)

1 Dieu, garde-moi, car j’ai fait de toi mon refuge.

2 Je dis au SEIGNEUR : « C’est toi le Seigneur !
Je n’ai pas de plus grand bonheur que toi ! »

3 Les divinités de cette terre, ces puissances qui me plaisaient tant,

4 augmentent leurs ravages ; on se rue à leur suite.
Mais je ne leur offrirai plus de libations de sang, et mes lèvres ne prononceront plus leurs noms.

5 SEIGNEUR, mon héritage et ma part à la coupe, tu tiens mon destin.

6 Le sort qui m’échoit est délicieux, la part que j’ai reçue est la plus belle.

7 Je bénis le SEIGNEUR qui me conseille, même la nuit, ma conscience m’avertit.

8 Je garde sans cesse le SEIGNEUR devant moi ; comme il est à ma droite, je suis inébranlable.

9 Aussi mon cœur se réjouit, mon âme exulte et ma chair demeure en sûreté,

10 car tu ne m’abandonnes pas aux enfers, tu ne laisses pas ton fidèle voir la fosse.

11 Tu me fais connaître la route de la vie ; la joie abonde près de ta face,
à ta droite, les délices éternelles.

Philippiens 1,23-26

23 Je suis tiraillé entre deux désirs : j’aimerais quitter cette vie pour être avec le Christ, ce qui serait bien préférable ; 

24 mais il est bien plus nécessaire, à cause de vous, que je continue à vivre. 

25 Comme je suis certain de cela, je sais que je resterai, que je demeurerai avec vous tous pour vous aider à progresser et à être joyeux dans la foi. 

26 Ainsi, par ma présence, vous aurez grâce à moi encore plus de raisons d’être fiers dans votre union avec Jésus Christ.

Luc 22, 39-42

39 Jésus sortit et se rendit, selon son habitude, au mont des Oliviers. Ses disciples le suivirent. 

40 Quand il fut arrivé à cet endroit, il leur dit : « Priez afin de ne pas entrer en tentation. » 

41 Puis il s’éloigna d’eux à la distance d’un jet de pierre environ, se mit à genoux et pria 

42 en disant : « Père, si tu le veux, éloigne de moi cette coupe de douleur. Toutefois, que ce ne soit pas ma volonté qui se fasse, mais la tienne. »

Le droit à la mort ? 

Nous entendons volontiers que mourir dignement est une liberté et un droit. Cela apparaît clairement dans la présentation de l’Association Exit :

« … l’association Exit Suisse romande défend donc :

  • Le droit pour chacun de choisir sa manière de vivre les dernières étapes de sa vie.
  • Le droit du malade d’être maître des dernières étapes de sa maladie.
  • Le droit à une mort digne et humaine. »

Le vocabulaire est clairement revendicatif. Il s’appuie sur un droit qui s’impose comme une évidence…

Mais osons nous poser cette question : Quel droit ai-je sur ma propre mort ou celle d’autrui ? Ai-je le droit de vouloir maîtriser ma mort ? Et cette autre question : Qu’est-ce qu’une « mort digne et humaine » ? Celui qui meurt dans la souffrance ou accidentellement aurait-il une mort moins digne ou moins humaine ? 

C’est une question éthique d’envergure. Je renonce ici à deux tentations :

  • Faire le tour du sujet. Des ouvrages de qualité abordent ce thème de manière complète.
  • Donner les fondements bibliques qui précisent le statut de l’homme et de Dieu face à la vie et à la mort. Autrement dit, les droits de Dieu et les droits de l’homme dans la maîtrise de la vie et de la mort.

Plus simplement, je vais aborder quelques témoignages de personnages bibliques confrontés à la mort. Et vous allez sentir comment, d’un point de vue biblique, l’enjeu n’est pas sur le terrain du droit et de la liberté individuelle, mais de la foi et de l’espérance. Des catégories beaucoup plus puissantes et opérationnelles que nous pouvons l’imaginer au premier abord !

Droit à être vrai devant Dieu

Le thème de la mort est très présent dans les textes bibliques et le thème du suicide n’est pas tabou. Quelques héros bibliques aspirent à la mort. Ecoutez ces citations et demandez-vous : Qu’est-ce que vous entendez dans ces plaintes ? Ont-elles un point commun ?

Nombres 11, Moïse quand le peuple réclame de la viande

14 « Je ne puis plus, à moi seul, porter tout ce peuple ; il est trop lourd pour moi. 

15 Si c’est ainsi que tu me traites, fais-moi plutôt mourir – si du moins j’ai trouvé grâce à tes yeux ! Que je n’aie plus à subir mon triste sort ! » 

1 Rois 19, Elie déprimé

4 Elie s’en alla au désert, à une journée de marche. Y étant parvenu, il s’assit sous un genêt isolé. Il demanda la mort et dit : « Je n’en peux plus ! Maintenant, SEIGNEUR, prends ma vie, car je ne vaux pas mieux que mes pères. » 

Jérémie 20, Jérémie maudit le jour de sa naissance

17 Si seulement Dieu m’avait fait mourir dans le ventre de ma mère !

Elle aurait été ma tombe. Elle m’aurait gardé en elle pour toujours.

18 Pourquoi suis-je sorti du ventre maternel, si c’est pour être spectateur de la peine et de la souffrance et finir ma vie dans l’humiliation ?

Philippiens 1, Paul est en tension avec son envie de mourir et de voir ses souffrances abrégées : 

23 « Je suis tiraillé entre deux désirs : j’aimerais quitter cette vie pour être avec le Christ, ce qui serait bien préférable ; 24 mais il est bien plus nécessaire, à cause de vous, que je continue à vivre. »

On pourrait multiplier les exemples, Jonas, Job, …

Qu’entendons-nous dans ces plaintes ?

  • Un gros ras-le-bol de vivre, un grand découragement, une désillusion de la vie et des hommes, un regret d’être né (Jérémie)
  • De la culpabilité (Elie)
  • Des reproches adressés à Dieu
  • Une aspiration à mourir
  • Un désir d’aller vers Dieu (Paul)

Cependant, nous n’y lisons pas de revendication à mourir dignement sans souffrance… Pas de demande du type : « Mon Dieu, j’ai achevé mon œuvre sur cette terre, maintenant, j’ai le droit de mourir, je ne veux pas souffrir… »

Non, nous avons une autre attitude : celle d’hommes qui souffrent, qui sont profondément déprimés et crient leur désespoir à Dieu en réclamant son intervention.

Fondamentalement, ils utilisent leur doit à être vrais devant Dieu. Ils reconnaissent Dieu comme leur créateur et le maître de la vie. Leur revendication s’inscrit dans un dialogue avec Dieu, aussi cru et direct soit-il !

Toute la différence est là : il y a souffrance, il y a revendication à mourir, mais celles-ci sont adressées à Dieu.

D’un point de vue chrétien, le problème du suicide assisté est qu’il se fonde sur un droit à décider soi-même de sa propre mort par des moyens humains. Il exclut Dieu de fait…

Le Psaumes 16, prière d’abandon

Pour parler de ce dialogue de l’être humain face à la mort, quoi de plus fort que les Psaumes ?! Psaumes 23, 71, 88, 139… Des prières de détresse qui évoquent la solitude et la souffrance qui précèdent la mort.

J’ai choisi le Psaumes 16, car sa structure est parlante :

C’est un psaume qui présente quelques difficultés de traduction. L’auteur est certainement un homme mourant. Cet homme doit d’abord faire face à une tentation, celle des divinités et des idoles :

3 Les divinités de cette terre, ces puissances qui me plaisaient tant,

4 augmentent leurs ravages ; on se rue à leur suite.
Mais je ne leur offrirai plus de libations de sang, et mes lèvres ne prononceront plus leurs noms.

Ici, la tentation est de faire appel à des puissances séduisantes, à la mode et accessibles. Ces idoles sont par définitions des ressources humaines. Elles représentent, dans ce contexte, l’effort de l’homme de se sauver par lui-même.

Le psalmiste dénonce cette tentation et prend position pour Dieu. Littéralement, il se place entre les mains de Dieu son refuge, son bonheur, son espoir, son maître…

Il s’abandonne… S’abandonner à Dieu, c’est arrêter de vouloir maîtriser sa vie et sa mort ! C’est reconnaître Celui qui en est réellement le maître !

1 Dieu, garde-moi, car j’ai fait de toi mon refuge.

2 Je dis au SEIGNEUR : « C’est toi le Seigneur !
Je n’ai pas de plus grand bonheur que toi ! »

5 SEIGNEUR, mon héritage et ma part à la coupe, tu tiens mon destin.

6 Le sort qui m’échoit est délicieux, la part que j’ai reçue est la plus belle.

Quels sont les bénéfices de cet abandon ?
La sagesse :

7 Je bénis le SEIGNEUR qui me conseille, même la nuit, ma conscience (mes reins) m’avertit.

La nuit, le moment où l’angoisse tourmente le malade, le mourant… Dieu donne les pensées qui préviennent, qui fortifient, …

La sécurité :

8 Je garde sans cesse le SEIGNEUR devant moi ; comme il est à ma droite, je suis inébranlable.

9 Aussi mon cœur se réjouit, mon âme (mes entrailles) exulte et ma chair demeure en sûreté,

Dans ces propos, on sent la présence de Dieu et le sentiment de sécurité qu’elle suscite chez cet homme.

L’espérance :

10 car tu ne m’abandonnes pas aux enfers, tu ne laisses pas ton fidèle voir la fosse.

11 Tu me fais connaître la route de la vie ; la joie abonde près de ta face,
à ta droite, les délices éternelles.

Même face à la mort, le psalmiste ne se sent pas abandonné. Il découvre un chemin de vie qui semble se prolonger au-delà de la mort.

Une présence « physique » de Dieu

Cet abandon n’est pas un exercice mystique, une manière de faire abstraction de la souffrance et de se voiler la face. Le vocabulaire utilisé ici est très physique :

  • ma conscience (mes reins) m’avertit.
  • il est à ma droite, je suis inébranlable.
  • mon cœur se réjouit, 
  • mon âme (mes entrailles) exulte 
  • et ma chair demeure en sûreté,

Abandon exprimé par le Christ (à Gesthsémané, Luc 22,42) :

« Père, si tu le veux, éloigne de moi cette coupe de douleur. Toutefois, que ce ne soit pas ma volonté qui se fasse, mais la tienne. »

Abandon exprimé par Paul (2 Corinthiens 5,8-9) :

« Nous sommes pleins de courage, et nous préférerions quitter ce corps pour aller demeurer auprès du Seigneur. Mais nous désirons avant tout lui plaire, que nous demeurions dans ce corps ou que nous le quittions. »

Conclusion :

Il faudrait aussi dire un mot de l’acharnement thérapeutique ou des moyens étonnants pour prolonger l’existence qui sont aussi des tentatives de maîtriser la mort en la repoussant…

Il faudrait encore dire quelque chose de la souffrance des proches des personnes qui demandent le suicide assisté. Même s’il y a dialogue et concertation dans le meilleur des cas, les proches restent souvent avec des sentiments mélangés, pas toujours faciles à digérer.

Je voudrais simplement faire apparaître ici ce basculement de l’enjeu éthique.

Pour le croyant, la question ou le problème n’est pas :

  • Vais-je revendiquer le droit de mettre un terme à ma vie pour ne pas souffrir, ne pas subir et faire subir un état de santé douloureux ?

Mais plutôt :

  • Vais-je revendiquer le droit à être vrai devant Dieu, à solliciter le secours de Dieu pour vivre pleinement ma fin de vie avec Lui?

La mort vécue comme un abandon à Dieu permet de vivre les réalités qui précèdent la mort avec Dieu : la dégradation du corps, les souffrances, le sentiment d’inutilité, le ras-le-bol de vivre, … 

Tout cela peut être vécu dans une vraie présence, avec un vrai vis-à-vis, celui qui est notre maître et créateur et dans un vrai dialogue, celui qui peut apporter réellement le soulagement, la sagesse, la sécurité et l’espérance…

Comme nous l’avons vu avec le Psaumes 16, cette présence de Dieu se manifeste réellement, physiquement et spirituellement. C’est une espérance à vivre au cœur de la vieillesse et de la maladie… Mais, pas seulement ! Tous les jours !
Amen.

Droit à la mort ?

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