Comment vivre et témoigner de notre foi sereinement dans ce monde ‘’poil-à-gratter’’ ? Comment dépasser le stade légitime de l’irritation jusqu’à interpeller, sans les dégoûter, nos contemporains dont la vie n’est pas un long fleuve tranquille ? Le passage de Paul à Athènes, capitale de la philosophie et haut-lieu de l’idolâtrie, nous ouvre des pistes.
Prédication d’Antoine Schluchter à partir d’Actes 17, 26-34 : Irritation-Élévation-Proclamation
Il est parfois – souvent ? – irritant de se promener dans le monde des écrans sur la toile, les infos, les réseaux sociaux : que d’éléments légers, superficiels, érigés quasi en normes de référence. On se sent déconnectés, tout change très vite et on n’a pas du tout envie de remettre le Wifi, il y a quelques années, on aurait dit ‘’remettre la prise’’. C’est en gros ce qui est arrivé à Paul lorsqu’il déambulait dans les rues d’Athènes, avant le Wifi et l’électricité du reste. On ne peut pas dire qu’il se soit extasié devant les statues et autres colonnades au point de rédiger un guide touristique, bien au contraire. Alors c’est vrai, il s’agissait de monuments antiques, pas du Salon du Geek. Mais c’était un autre monde, non sans correspondance d’ailleurs, avec l’actuel. Cette place où on écoutait les dernières nouvelles, une sorte de réseau social, de blog présentiel où tout le monde pouvait y aller de sa proposition sans autorité de surveillance. Avec un fatras de Fake News en lieu et place de la Good News, la Bonne Nouvelle.
J’ai eu, nous avons eu un sentiment assez similaire en passant à Las Vegas. Déversement de touristes, obligation de traverser des casinos, personnes agglutinées devant les tables de jeu et les machines à sou, surabondance de lumières plus criardes les unes que les autres et de sons débiles accompagnés de cris qui l’étaient tout autant et tarifs exorbitants de la moindre assiette pour une famille de cinq. Du coup, en bons grands-parents, nous avons pris le chemin du retour à l’hôtel avec le petit-fils, soulagés de nous retrouver enfin dans la chambre.
Êtes-vous aussi comme cela dans certaines situations, comme nous, comme Paul ? Comment réagissez-vous dans ce monde urticant ? Le cadre ne vous convient décidément pas, tout est tellement aux antipodes de notre foi. Eh bien, Paul est un excellent guide et modèle d’adaptation sans perte du fond car ce n’est pas tout d’avoir une foi claire et solide. Je pense à un ami théologien qui avait eu, enfant, des problèmes de surdité – cela affecte le caractère et influe sur les réactions. Cet ami participait à une conférence dont bien des ténors étaient férocement libéraux. Il ne disait rien mais ses collègues le sentaient bouillir et à un certain moment cela n’a pas manqué, le couvercle a sauté et il s’est emporté, faisant ainsi perdre toute crédibilité au message qu’il voulait faire passer. L’apôtre Paul, dans ce passage, nous invite à un cheminement en trois stades : celui de l’irritation, celui de l’élévation et celui de la proclamation.
L’irritation, nous l’avons entendu, c’était à la vue de toutes ces idoles et cela se comprend.
Pareil pour les idoles de la consommation, il y en a toujours certaines qui nous irritent au plus haut point. Mais qu’est-ce que Paul en a fait : il a quitté la ville ? Il s’est enfermé dans sa chambre d’hôtel comme nous ? Il a explosé comme notre ami ?
« Athéniens, je vois que vous êtes religieux à tous égards. »
Mensonge ? Dissimulation ? Hypocrisie ? Édulcoration ? – Que ne, ! Paul est passé du stade de l’irritation à celui de l’élévation. Pas seulement parce qu’il est monté à l’Aréopage mais parce qu’il a su piocher chez des penseurs grecs sans s’arrêter à la vision consternante des idoles. Paul n’est pas resté à la surface pour adresser une critique en règle. Il a su trouver des perles, même si ce n’était pas celle de grand prix, chez ces penseurs ; il les connaissait, pouvait les citer lorsqu’ils parlaient de cette religiosité dans le sens de ce qui relie l’humain à plus haut et plus grand que lui : « En lui, nous avons la vie, le mouvement et l’être. »
C’est splendide et… incontestable. D’une part, l’apôtre ne jette pas le bébé avec l’eau du bain, il ne noircit pas le tableau parce qui si on s’y prend comme cela, on pensera toujours avoir raison, on se croira courageux mais on ne sera pas invités une seconde fois. Ce sera bien pire que « Nous t’entendrons là-dessus une autre fois. » Et d’autre part, Paul déniche le travail de Dieu chez ces écrivains, dans leur culture – Mon prédécesseur à Villars le faisait avec un art consommé. Il peut s’appuyer sur eux ; l’apôtre se fond dans le moule local. C’est d’ailleurs un autre Grec célèbre, Archimède, qui a dit : « Donnez-moi un point d’appui et je soulèverai le monde ». Paul soulève l’attention de tout ce monde et poursuit : « Nous sommes de sa race ». Voici qu’ils ne font plus qu’un, eux et lui, le prédicateur de nouveautés.
Toute irritation s’est dissipée pour faire place à l’élévation, la mise en valeur, l’inclusion. C’est tout bonnement magistral. Tout différent de ce missionnaire qui était entré dans la cour d’un temple bouddhiste en Thaïlande et avait crié « Jésus est Seigneur ! » dans sa langue, puis avait continué sa route. Pareil pour ce prédicateur monté au-dessus de Château-d’Oex et qui avait crié : « Repentez-vous ! » Leurs appels n’avaient été suivis d’aucun effet probant.
Vient alors le moment le plus délicat, celui de la proclamation, qui constitue le point critique de basculement. Et là, Paul ne sort pas le petit traité des « Quatre lois spirituelles » et ne cite pas non davantage le mantra évangélique de Jean 3.16 ou la parabole du fils prodigue. Non, il part du Dieu créateur qui ne saurait être enfermé dans une habitation humaine. Il ne saurait avoir besoin de nous et de nos coups de ciseaux dans le bois ou de burin dans la pierre. Il nous a créés à partir d’un seul homme, Il a organisé et maintenu le monde par sa Providence, Il n’est « pas loin de chacun de nous » et bien des humains le cherchent « en tâtonnant ». Du coup, quoi qu’il se soit dit, écrit ou pensé, le temps est venu du grand retournement pour l’accueillir tel qu’il se révèle. Par la metanoia, par un esprit qui change de registre –meta, terme très actuel. Pour se tourner vers Dieu –un langage très accessible aux Grecs pour qui il y avait la physique et, à côté, la métaphysique. En plus, top du top, Dieu a désigné un homme pour cela et l’a marqué du sceau de son approbation de façon irréfutable « en le ressuscitant des morts ! » Là c’est plus dur à avaler, c’est radical, l’échange s’interrompt mais il a eu lieu. Paul a enfoncé un coin dans la porte de la capitale du paganisme et de la philosophie, il a abouti à une vraie proclamation et a ferré quelques disciples dont un certain « Denys l’Aréopagite », certainement une figure de proue de ce haut-lieu d’échange.
Donc, pour nous qui ne sommes ni apôtres ni d’impénitents grands voyageurs, comme grain à moudre dans nos situations courantes, locales, gardons ces trois stades pour guider nos pensées et nos actes : le stade de l’irritation qui est légitime et même souhaitable ; sinon, ne serait-on pas devenus insensibles aux contre-évangiles actuels ? – Mais il ne faut pas s’y complaire ou renoncer à notre mission. Passer au stade de l’élévation, apprendre à connaître le monde de l’autre, l’honorer, faire preuve d’égard, de respect, de perspicacité. Et en arriver au stade final de la proclamation de l’évangile centrée sur la personne de Jésus et non notre- ‘’exceptionnel’’ témoignage… Irritation, élévation, proclamation.
Mais soyons attentifs comme l’a été Paul. Tout d’abord, la proclamation peut, doit même, être envisagée avec créativité – il n’avait jamais annoncé l’évangile de cette manière auparavant. Ni dilution, ni crispation ou rigidité ; créativité ! Et ensuite, cela peut se passer dans cet ordre mais par forcément. ; en une fois mais pas nécessairement, surtout par chez nous. Mais dans tous les cas de figure, jamais en forçant la porte. Paul a été invité à parler dans un cadre précis dont il a respecté les règles. Cela m’est arrivé quelques fois, dont au Rotary, toujours passionnant. Non comme ayant raison mais en témoignant de ce que le Christ nous apporte. Un autre apôtre, Pierre, nous encourage toutes et tous à adopter cet état d’esprit, cette qualité d’attention : « Soyez toujours prêts à rendre compte de votre espérance devant quiconque vous le demande, mais avec douceur. »
Excellente prédication, qui donne à penser : irritation – élévation – proclamation : je tâcherai de m’en souvenir 🙂 .