Face au Ressuscité, nous dit Luc Badoux, nous courons deux risques : ne pas croire… ou ne pas nous étonner. A la suite de l’évangile de Luc et de G.F. Handel, il nous invite à redécouvrir l’inouï de la résurrection !

A l’adolescence, j’ai appris une phrase qui m’est restée. Ma maman avait eu la bonne idée de la coller sur une porte, la porte que j’ouvrais le plus souvent : la porte du frigo ! Cette phrase est de St Exupéry : « Tout est dur quand on perd le goût de Dieu. » Oui, j’ai gardé cette phrase. A tous les parents qui cherchent à faire passer un message à leurs adolescents, je ne peux que dire : « Essayez le frigo ! ». 

A force donc d’ouvrir le frigo, je suis devenu pasteur, convaincu que le goût de Dieu, c’est précieux. Ce goût de Dieu, comment le trouver? Comment ne pas le perdre ? Comment ne pas le perdre quand on souffre ou au contraire quand le confort et la facilité nous endorment ? A chacun pour soi-même de répondre à cette question. Mais en ce dimanche après Pâques je vous propose de le faire à la lumière du texte de l’évangile de Luc que nous venons d’entendre : Luc 24.36-48.

Jésus se présente au milieu de ses disciples qui deux jours plus tôt l’ont vu mourir. Il leur dit « La paix soit avec vous. » Mais sa présence produit l’effet inverse. Plutôt que de se retrouver apaisés, ils sont paniqués, saisis de crainte et même de terreur, nous dit Luc. Pour la paix, ça paraît raté. Sauf, sauf, si c’est le point de départ de tout un cheminement. 

On constate en effet, dans nos vies, qu’à l’origine de la foi en Dieu ou d’un approfondissement de notre foi, il y a souvent un moment où on a eu peur, une situation difficile, un manque.
Les situations de manque ou d’épreuve nous rendent réceptifs à Dieu. Elles lui permettent de manifester qui il est. Elles permettent au Christ de nous apporter la paix, la consolation ou une nouvelle manière d’envisager notre vie. C’est précisément ce qui se passe pour les disciples saisis de frayeur et de doutes. 

Mais, pour être gagnés par la paix, il faut qu’ils participent. C’est pourquoi Jésus les interpelle: « Regardez mes mains et mes pieds. Plutôt que de rester dans la peur et dans les doutes, approchez-vous, touchez-moi, éprouvez la réalité de ce que je vous dis. Ne restez pas à distance à ne pas savoir si je suis un fantôme. » 

Jésus a besoin que nous prenions sa résurrection au sérieux et, si nécessaire, que nous vérifiions si ça nous paraît vrai. 

A ses disciples, Jésus propose même de manger quelque chose devant eux. Ils lui donnent alors un morceau de poisson grillé. Il le mange. C’est à ce moment que la frayeur des disciples tourne en joie et en étonnement. Ils n’ont pas encore passé à la foi, mais déjà de la peur à la joie et du doute à l’étonnement. 

C’est un moment décisif. Les moments où l’on peut s’étonner de ce que Dieu a fait sont des moments privilégiés. J’espère que vous en avez connus ou que vous allez en connaître. 

Ça me rappelle une de ces merveilleuses histoires juives qui rapporte qu’au moment où Dieu créa le monde, quatre anges s’approchèrent de lui.
Le premier demanda : « Comment t’y prends-tu ? »
Le deuxième continua en lui disant : « Pourquoi fais-tu cela ? » 

Le troisième enchaîna : « A quoi ça va servir ? »
Le premier était un scientifique, le deuxième un philosophe, le troisième un agent immobilier.
Le quatrième ange observait la scène de la création du monde avec étonnement ; il se mit, lui, à applaudir. 

Devant la résurrection de Jésus, nous sommes souvent comme les trois premiers anges. Il y a en nous un peu de ces différentes questions qui se bousculent. Beaucoup sont comme le scientifique : pour croire au ressuscité, ils veulent savoir comment Dieu s’y est pris. Ils aimeraient qu’on leur démontre que c’est possible. D’autres tiennent davantage du philosophe : pourquoi Dieu aurait-il fait cela ? Est-ce bien raisonnable ? Et puis il y a l’agent immobilier : à quoi ça va servir ? On va les mettre où tous ces ressuscités ? 

J’ai une prière pour nous tous ce matin, pour tous ceux qui veulent avoir en eux le goût de Dieu. Ma prière, c’est qu’il y ait en nous quelque chose du quatrième ange ; cet ange qui s’étonne avant tout, cet ange qui s’émerveille et applaudit devant la résurrection.
Que ce matin soit un temps pour s’étonner devant le Ressuscité. Pour la plupart d’entre nous, nous avons baigné dans une culture chrétienne, nous avons entendu dès l’enfance qu’après sa mort Jésus était ressuscité. Si bien qu’à l’annonce de la résurrection, nous courons deux risques : celui de ne pas croire, mais aussi celui de ne pas nous étonner. Quelle tristesse si la résurrection n’éveille en nous ni étonnement, ni applaudissement. L’Evangile risque alors fort de ne provoquer en nous ni espérance, ni changement de regard sur la vie. 

Les disciples, après avoir été effrayés et incrédules, après avoir été un peu le scientifique, le philosophe et l’agent immobilier, se sont laissés gagner par la joie et l’étonnement. Ils ont été lents à croire, mais ils se sont étonnés.
Attention, s’étonner n’est pas tout. Pour les conduire à la foi et les amener à annoncer sa résurrection au monde, Jésus leur fait franchir encore une étape. Il leur rappelle tout ce qu’il leur a annoncé. Luc nous dit qu’il leur ouvre l’intelligence. Cela nous est décrit comme étant tout un travail. Cela passe par un plongeon dans les Ecritures. Jésus leur explique que ce qui lui arrivé est annoncé dans les livres des prophètes, Esaïe, Jérémie, Zacharie et dans les psaumes. Il explique que sa passion et sa résurrection, c’est l’aboutissement de l’œuvre de Dieu, c’est comme un fruit qui a longtemps mûri, comme une fleur qui éclôt après des mois de préparation. La résurrection n’est pas un événement isolé mais l’aboutissement de l’action de Dieu qui a toujours voulu que la vie triomphe de la mort et que le bien triomphe du mal. C’est par cette immersion dans les textes bibliques que les disciples passent de l’étonnement à une foi construite et solide. Il a fallu que leur foi soit solide pour se laisser envoyer par Jésus comme témoin de sa résurrection devant toutes les nations. Eux qui se cachaient, qui ont conçu non seulement de la peur mais une véritable frayeur devant le Ressuscité, ils vont aller au devant des nations pour témoigner de sa résurrection. 

Il y a trois semaines j’étais à Dehli en Inde avec des collègues pasteurs. On y a notamment rencontré l’évêque de l’Eglise Mar Thomas. Il fait remonter les débuts de leur communauté à l’an 52 après Jésus et au témoignage de l’apôtre Thomas. Vous savez, Thomas, celui des douze qui ne voulait pas croire en la résurrection de Jésus tant qu’il n’aurait pas vu la marque des clous dans ses mains. Apparemment, lorsque Jésus est venu à sa rencontre, l’étonnement et le bouleversement de Thomas ont été assez profonds et sa foi assez solide pour qu’il aille ensuite jusqu’en Inde annoncer qu’en Jésus la vie était plus forte que la mort. Et cela fait 1960 ans que des Indiens, génération après génération, et de plus en plus aujourd’hui, s’étonnent et applaudissent le Ressuscité avant de s’en faire les témoins. 

J’ai aussi découvert récemment la vie de Haendel, le compositeur de musique classique. Haendel avait un caractère prompt. C’est dit poliment. En français courant, il était insupportable, il s’emportait contre les chanteurs qui ne respectaient pas ses consignes. Il mangeait, buvait beaucoup trop. Il avait sûrement des qualités, mais à Londres où il a vécu la deuxième partie de sa vie, on l’appelait le « gros ours ». Et je ne crois pas que c’était un compliment. 

A l’été 1741, Haendel se sent déprimé, fini. Il s’est relevé d’une attaque cérébrale qui l’avait frappé quatre ans plus tôt, mais il ne parvient plus à composer. Il a perdu sa créativité. En revenant de promenade un soir, il découvre le livret qu’un poète lui a laissé, lui proposant d’en faire un oratorio. Un oratorio, c’est une histoire tirée de la Bible et racontée par un choeur. C’est un opéra sans costumes ni décors. Le livret en question cite le prophète Esaïe qui annonce la naissance, la passion puis le relèvement du Messie. 

La lecture de ces textes opère une œuvre profonde en Haendel. L’abattement qui était le sien fait place à l’étonnement puis à l’émerveillement quand il saisit que ce qu’Esaïe annonce 700 ans à l’avance, c’est ce que Dieu a fait en Jésus. Cet état d’émerveillement dure trois bonnes semaines. Haendel ne mange et ne dort quasiment plus. Il compose. Cela fait quatre ans qu’il ne crée plus rien et là, en 25 jours, porté par les paroles d’Esaïe, il compose le Messie avec ses airs devenus immensément célèbres : « For unto us a child is born » = « Un enfant nous est né » ; autre air connu et toujours en anglais : « He shall feed his flock »  = « Il fera paître son troupeau ». 

L’auditeur est ainsi conduit dans la vie de Jésus jusqu’à sa passion puis à l’exultation du célèbre Alléluia. C’est l’étonnement à son comble. « He shall reign for ever and ever. King of kings and Lord of lords » = « Il règnera pour toujours. Roi des rois, Seigneur des seigneurs ». Cet Alléluia, c’est la manière de Haendel d’applaudir à la résurrection. Ensuite Haendel nous fait redescendre de cet Alléluia sonore avec un air très doux qui porte cette confession de foi : « Je sais que mon Rédempteur est vivant ». Haendel s’est d’abord trouvé étonné, surpris à la lecture des textes bibliques. Puis il a été comme emporté par le message de l’Evangile et de la résurrection. Il a applaudi à sa manière, en composant la musique. Il a cru et il s’est fait le témoin du Christ ressuscité. 

À la première représentation du Messie, à Londres, le roi George II, lointain ancêtre d’un petit George fils de William et Kate, s’est levé pendant le chant de l’Alléluia. Personne n’a su pourquoi il le faisait, mais tout le monde a suivi son exemple. La tradition veut aujourd’hui encore que l’auditoire se lève pour cet Alléluia. Ce peut être vécu comme une manière de saluer ou d’applaudir l’œuvre de Dieu dans la résurrection. 

Déjà de son vivant, Haendel s’est trouvé mondialement connu pour cette œuvre. Mais pour en parler, il a dit « Dieu m’a rendu visite ». Et il lui a paru naturel que les profits considérables de son œuvre soient distribués aux prisonniers, aux orphelins et aux malades. Pour parler de la découverte qu’il avait faite, il a dit : « J’ai été moi-même très malade et je suis maintenant guéri. J’étais prisonnier et j’ai été délivré. » 

Dieu lui a rendu visite. Comme Jésus a rendu visite à Thomas qui, dans sa stupéfaction, s’est exclamé « Mon Seigneur et mon Dieu ». Comme il veut nous rendre visite à nous qui ne sommes sûrement pas plus incrédules que Thomas, nous qui n’avons pas pire caractère que Haendel. 

« Engagez-vous ! » disaient les Romains aux recrues potentielles. 

« Indignez-vous ! » dit le philosophe Stéphane Hessel en regardant le monde. 

Et moi, au nom de l’Evangile, je vous dis : « Etonnez-vous ! L’incroyable s’est produit. Que vous ayez de la facilité ou de la difficulté à croire, étonnez-vous. » C’est l’entrée du chemin de la foi, du chemin de la louange et de l’espérance. C’est souvent en s’étonnant devant la beauté de la création, devant l’œuvre du Dieu Créateur que vient le goût de Dieu. Pour Haendel, c’est en s’étonnant devant le Dieu Sauveur et la résurrection de Jésus que le goût de Dieu est revenu. C’est à partir de son étonnement qu’a grandi en lui l’envie de témoigner du Ressuscité, de la vie plus forte que la mort. C’est ainsi que lui est venue l’envie d’applaudir à la résurrection. 

Chers amis, je vous invite à vous étonner devant la résurrection et à applaudir le Ressuscité. Amen 

Prédication prononcée par Luc Badoux à La Vallée de Joux, dimanche 1er mai 2011.

Les trois lectures bibliques étaient :

Esaïe 52.13 – 53.3 + 53.8-10 ; I Pierre 1.3-5 + 10-11 ; Luc 24.36-48.

Etonnez-vous !
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