Dans cette méditation, David Bouillon a été inspiré par le chœur médiéval de l’église de Corsier-sur-Vevey. Il est orné d’anges peints sur les murs et éclairé par un vitrail où est représenté l’agneau immolé triomphant du dragon, vitrail surmonté d’un Christ siégeant en gloire.


En entrant pour la première fois dans ce temple de Corsier en septembre 2017, j’ai immédiatement ressenti la force de ce lieu. Encore aujourd’hui je suis souvent ému aux larmes en raison d’un fort sentiment de la présence de Dieu. Comme je suis professeur de théologie pratique, le réflexe est de m’interroger sur les raisons de cet état de fait. Est-ce le style du culte qui en serait la cause ? Est-ce la place donnée à la louange, à la spontanéité, à la participation… Je crois qu’une des explications qui doit être donnée tient au lieu même où nous rendons un culte au Seigneur.

En effet, l’architecture de ce temple n’a rien de très protestant. C’est normal, cette église fut construite bien avant la Réforme et – en dehors de la sono et du beamer (vidéo-projecteur) – n’a rien de vraiment moderne. N’être ni protestant, ni moderne, c’est plutôt frustrant pour une Eglise Réformée qui se veut toujours à l’avant-garde de la foi. Certes nous cultivons aussi une forme de nostalgie du passé qui, bien qu’il ait pu être glorieux, n’en est pas moins passé. Ainsi, ici à Corsier, nous rendons un culte dans un lieu qui n’est ni franchement protestant ni résolument moderne ! Et nous le faisons aussi d’une manière qui n’est pas rigoureusement calviniste. Et pourtant, nous y ressentons la présence agissante du Seigneur !

Essayons d’imaginer à quoi ressemblerait une église – un temple – qui satisferait aux critères d’une foi protestante d’avant-garde. D’abord, en vertu du principe du « sacerdoce universel des croyants », il n’y aurait plus ce chœur. Car, pour le christianisme d’avant la Réforme, le chœur était l’équivalent du lieu très saint dans le temple : un espace interdit au commun des fidèles et réservé au seul clergé. Mais supposons que malgré tout nous décidions de garder le chœur – ce que les protestants de Corsier ont décidé – il faudrait alors apporter un certain nombre de mises en garde. La première porterait sur la vision du monde qu’il représente : les anges, le Christ en gloire, le triomphe de l’Agneau, l’unité des 4 Evangiles… Tout cela, pour le protestant qui se veut de son temps serait à grandement expliciter. Certains utiliseraient même le mot savant de « démythologisation ». En effet, comment peut-on croire en notre époque héritière des Lumières, qu’il existerait cette sorte de monde invisible dont les représentations de ce chœur sont le signe ? La science se limite à l’étude rationnelle des phénomènes ; les anges, Agneau, dragon ne franchiront donc jamais le seuil de nos laboratoires ni ne se plieront à la mise en éprouvette. Le protestant éclairé et qui ne veut pas basculer dans l’agnosticisme dira donc que tout cela n’est que symbole. Et comme le grand philosophe protestant Paul Ricoeur l’a écrit : « le symbole donne à penser ». Mais donne-t-il à croire ? Le résultat est que si nous devions construire un temple à Corsier selon cette logique moderne, nous risquerions de bâtir un lieu sans y inclure un chœur tel que vous l’avez devant vous. On garderait peut-être quelques photos à titre de souvenir d’une époque révolue, ou alors par souci du patrimoine on maintiendrait les lieux en l’état mais comme une sorte de musée des croyances révolues. Les plus iconoclastes (ce qui est assez protestant) raseraient cet espace en le justifiant de nombreux arguments théologico-philosophiques.

Conclusion : le protestant éclairé n’a pas besoin d’espace sacré, n’a pas besoin d’une vision mythique de l’univers, n’a pas besoin d’un Dieu trônant dans le ciel et jugeant la création (même si le juge est aussi doux qu’un agneau); il refuse de réduire l’abyssale question du mal à l’image naïve d’un dragon piétiné par l’Eglise !

Malheureusement le protestant éclairé risque aussi de ne pas prendre la parole de Dieu au sérieux, ce qui pour un adepte du « sola scriptura » est pour le moins étonnant. Au travers de nos trois lectures, je voudrais dire pourquoi le chœur de Corsier est un témoignage puissant en faveur d’une vision des choses qui, si elle n’est pas moderne, n’en demeure pas moins profondément biblique et fidèle à la Bonne Nouvelle.

Le temple (que ce soit celui de la Bible ou celui où nous sommes) est un lieu de victoire. Dire cela c’est aussi en même temps souligner que pour les croyants de tous les temps, la fidélité au Seigneur suppose un combat et une résistance. Il y a des adversaires et il y a surtout UN adversaire, le malin. Ce dragon représenté vaincu sur le vitrail du chœur.

Le lieu du temple, l’édifice en lui-même n’a rien de sacré. Cela évidemment plait au protestant que je suis. Pour la Bible, Dieu ne sacralise pas les pierres et peu importe que le temple d’Esdras soit moins splendide que celui de Salomon. Jésus aussi ne se laissera pas impressionner par le « bling bling » du temple d’Hérode. Ce qui importe, c’est la rencontre avec le Seigneur, c’est d’être édifié sur la « pierre de fondation » qu’est Jésus. Le chœur du temple, même si en français on l’écrit avec un H, nous rappelle que le Seigneur ne veut pas que nous restions sur le seuil, ni même assis dans les bancs de la nef, mais que nous le rencontrions dans le cœur à cœur du chœur ! Et quel message puissant que la table de la Cène soit placée au cœur du chœur.

Ce cœur à cœur n’a rien d’une religion sentimentale. Ce qui est représenté dans ce chœur (anges, évangélistes, Agneau vainqueur) n’est pas uniquement symbolique même si ce ne sont encore que des images. Paul nous proposerait de voir tout cela comme un reflet des réalités éternelles. Mais – nous le savons – un reflet n’est pas une fiction sinon nous renoncerions à nous faire beau devant le miroir. Ce que ce chœur rappelle à notre génération désenchantée, incrédule, soumise au mal et à la mort, c’est qu’il existe un royaume de Dieu, c’est que Dieu est Seigneur, que Jésus est vainqueur, que l’Esprit est le Consolateur. Ceux qui ont construit cette église et décoré ce chœur croyaient réellement à cela. Cette foi enracinée en Dieu et dans sa Parole n’est pas une foi révolue, celle du Moyen Age que la Réforme et la Modernité seraient venues corriger. Au contraire, c’est plutôt notre relativisme protestant, notre agnosticisme intellectuel se prétendant rationnel qu’il s’agit de questionner.

Petite conclusion très pratique : nous allons prendre un chant de louange (JEM 519 A l’Agneau de Dieu soit la gloire). Je vous invite à deux choses…

  1. Pendant le chant, venez déambuler dans le chœur. Approchez de ces réalités éternelles auxquelles nous serons bientôt associés quand le Royaume de Dieu viendra dans toute sa plénitude.
  2. Et si vous restez à votre place, levez les mains en chantant. Ce geste n’est pas réservé à ceux que l’on qualifie de charismatique, mais exprime qu’au-dessus de nous mais aussi tout autour de nous, Dieu est présent et règne. Lever les mains est aussi un geste lourd de sens dans notre monde et dans nos églises qui ne croient plus au ciel.

Pasteur David BOUILLON (UNEPREF), professeur de théologie pratique à la HET-PRO (St-Légier)

Prédication apportée le dimanche 4 mars 2018

Un foi dépassée ?
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