Antoine Schluchter, pasteur à La Vallée de Joux, commente ici de manière originale Luc 3.10-18, en reprenant des éléments forts du dernier livre de Marek Halter : « Un monde sans prophètes ».

Jeudi 9 décembre 2021 dans la Feuille de La Vallée, on trouvait un courrier des lecteurs intitulé :« Mais où sont passées les étoiles ? » Il ne s’agissait pas d’un cri d’alarme du responsable de l’Observatoire de La Capitaine, mais de l’observation d’un jeune homme concernant les décorations de Noël ; nos nouvelles suspensions lumineuses ne comportent en effet plus d’étoiles et cela lui donne l’impression que La Vallée perd un peu plus son âme. Les étoiles : à la fois des lumières et des points de repère dans la nuit. Des points de repère, on en a besoin, surtout en cette saison sous notre hémisphère mais aussi dans la saison que traverse actuellement notre monde. Une des paroles du texte du prophète Esaïe garde son acuité glaçante : 

« On regarde la terre, et l’on ne voit que détresse, obscurité, sombre oppression, nuit d’égarement. » (Esaïe 8.23)

Ce verset précède la prophétie annonçant cet « enfant qui nous est né » et il faut bien noter qu’ils associent l’obscurité à la détresse et à l’oppression. Le prophète n’évoque pas là une forme de déprime liée au manque de luminosité. C’est d’ailleurs pour cette raison que les Maîtres juifs ont ajouté au calendrier des fêtes instaurées dans la bible celle de Hannoucca, la fête de la lumière au cœur de l’hiver. On ne peut qu’y être sensibles, vu que le Christ est la lumière du monde et qu’à le suivre, on ne marche pas dans l’obscurité. Alors, quelle lumière l’évangile de ce matin projette-t-il sur notre terre ? Quelles étoiles fait-il briller pour nous repérer sous le ciel obscur ? Le projectionniste, comme dimanche passé, c’est Jean-Baptiste et en effet, il éclaire, il dévoile, il avertit, il clarifie. Luc résume son arrivée sur la scène publique en une phrase :

« C’est en leur adressant beaucoup d’autres appels encore que Jean annonçait la bonne nouvelle au peuple. » 

Donc Jean annonce la bonne nouvelle, littéralement en grec il évangélise mais comment ? En   adressant au peuple des appels ou des exhortations ou des encouragements ; le terme a toutes ces nuances. C’est un discours non pas lisse, dans l’air du temps mais rugueux, confrontant pour le temps et pour les gens du temps ; Jean-Baptiste est vraiment un prophète. Le dernier a-t-on beaucoup dit vu que Jésus est venu dans la foulée. Mais alors, y a-t-il encore des voix prophétiques de nos jours ? Que remarque-t-on quand on « regarde la terre », quand on observe ce qui s’y passe ? Il n’y a pas meilleurs observateurs que nos frères juifs dont le penseur Marek Halter. Il observe le cours du monde, il le confronte aux Ecritures et il a une parole percutante. En particulier dans son dernier livre intitulé « Un monde sans prophètes », publié aux éditions Alerte, ça ne s’invente pas. Selon lui, c’est parce qu’on ne se réfère plus à plus grand que soi : Dieu ou un idéal. Les dirigeants n’ont plus vraiment de figures d’opposition fortes (ni même de majorité). Tant que ça va à peu près, on suit sans broncher ce qui est véhiculé par les coutumes, les médias, les réseaux sociaux et personne pour secouer les consciences : un monde sans prophètes !

Nous allons donc nous appuyer sur Jean, le prophète de l’Avent, mais aussi nous référer à Marek Halter qui établit des passerelles avec notre époque pour discerner quelles étoiles-points de repère ils font briller. 

L’étoile du grand retour

La première, c’est l’étoile du grand retour. Jean a proclamé un baptême de repentance, il a engendré un mouvement de repentance dans le sens d’un changement de direction, d’un retournement, d’un retour vers Dieu. Son message est clair, il ne dévie pas, on sait où le trouver… et on vient en foule le trouver dans un état d’esprit à l’inverse de l’orgueil ou de la suffisance. Marek Halter dit que le bon dirigeant n’est pas celui qui ne se trompe pas mais celui qui reconnaît ses erreurs en écoutant le prophète et en corrigeant le tir.

À propos de passerelles, dans quel désert se poster pour avoir un tel impact ? Après la chute de Ceausescu en Roumanie, j’ai rencontré un vieux moine qui vivait dans une cabane perdue. Eh bien, les nouveaux dirigeants venaient le consulter parce qu’il avait résisté au despote et qu’il avait une parole claire, une parole de prophète. Dans la bible, le désert représente un espace de solitude qui permet la rencontre. La solitude du dépouillement, de nos jours c’est une sacrée passerelle.  Comment faire pour que nos communautés offrent une forme de déconnexion à tout ce qui circule en vue d’une reconnexion à l’essentiel ? Avoir un message clair dans un lieu précis pour faire office d’étoile du grand retour : dans nos célébrations, nos groupes de maisons, nos vies individuelles et familiales.

L’étoile du cœur de la cible

La deuxième étoile-point de repère, à propos de message clair, consiste à avoir une parole ciblée. Jean a une parole générale pour les foules et une parole pour des catégories particulières. Les foules, c’est la masse, certains parlaient jadis de masses laborieuses. Plutôt des petites gens mais avec, en fait, un gros pouvoir d’achat. Représentant donc un important marché pour faire tourner la machine. Jean a une parole ciblée. Aux foules dans leur diversité, il parle de partage de la nourriture et du vêtement, soit des besoins de base. Aux collecteurs d’impôts d’équité et aux soldats de respect.

Dans le fond, et là que de passerelles, c’est un message de partage et de refus des abus. Que ce soit en gardant tout pour soi ou en abusant de son pouvoir. C’est assez impressionnant que Jean invite à manifester ainsi la repentance. On a peut-être trop tendance à la réduire à la dimension spirituelle. Mais là, le retour vers Dieu se traduit par une attitude nouvelle envers le prochain. Marek Halter indique qu’être prophète n’était pas de tout repos. La plupart ont été tués ou ont dû s’exiler. Mais, ajoute-t-il, les rois qui les avaient rejetés ne leur ont pas survécu. 

Il me semble que les exhortations de Jean lorgnent vers des thèmes très actuels. Les communautés de partage, le recyclage, les ressources mises en commun, un exercice sans faille de la justice, la dénonciation des abus, le respect de chacun. Cette étoile est l’étoile-point de repère du cœur de la cible : il s’agit de viser juste et d’oser appeler au changement. En nous engageant résolument sur ce chemin aux passerelles multiples.

L’étoile messianique

La troisième étoile est l’étoile messianique qui n’est pas en sucre glacé. C’est un messie qui vient faire le tri et brûler la paille dans un feu qui ne s’éteint point. On représente volontiers Jésus comme semeur, on l’imagine engranger le bon grain mais moins avec une fourche ou une pelle à vanner. Pourtant ne dira-t-il pas qu’il est venu « allumer un feu sur la terre » ? L’étoile messianique est rugueuse, interpellante. Ce qui est intéressant, c’est que Jean donne d’abord des instructions pratiques et qu’ensuite seulement, il parle du Messie. Avec, il faut le reconnaître, un accent très fort sur le jugement. Il ne pouvait pas en aller autrement car pour lui, le Messie allait inaugurer les temps nouveaux en mettant un terme à l’histoire humaine par le jugement. Il fallait donc tout mettre d’aplomb dans sa vie pour l’accueillir.

Comparativement, Jésus ajoutera une bonne dose de miséricorde et surtout de temps en inaugurant le temps de la grâce qui a déjà duré deux millénaires depuis lesquels le message du salut retentit sur toute la face de la terre. C’est véritablement une divine surprise.

Menu 3 étoiles

Notre Menu 3 étoiles nous offre de bons points de repère dans la nuit du monde. 

L’étoile du grand retour nous invite à accueillir le Seigneur de façon renouvelée et à nous poster à la marge des modes et des pensées dominantes pour offrir aux humains en quête un espace de déconnexion du superficiel –ou tout simplement du passager– en vue d’une connexion à l’essentiel, qui est éternel.

L’étoile du cœur de la cible nous invite à accueillir les appels prophétiques jusqu’au cœur de nos existences pour les laisser se déployer dans ce qu’il nous est donné de vivre et de partager. En osant une parole ciblée et des engagements concrets.

L’étoile messianique est celle qui doit briller au firmament et constituer le repère fondamental à ne jamais perdre de vue – pour nous – et à ne jamais occulter – pour autrui.

Nos frères et sœurs juifs l’attendent encore comme bien des humains dans ce monde qui a grandement besoin de la lumière, de l’éclairage des prophètes. L’interview de Marek Halter à laquelle je me réfère a été faite dans le cadre de l’émission juive « À l’origine » (France 2) qui avait pour titre ce dimanche-là « Hannouca, la lumière des prophètes ». Laissons-nous éclairer !

Menu 3 étoiles pour temps de l’Avent
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