Jadis, les mages ont cheminé jusqu’à Jésus, on le rappelle à l’épiphanie. Et 30 ans plus tard, ce même Jésus entraîne ses disciples sur d’incessants chemins. Comme nous le sommes jour après jour via nos déplacements, nos rencontres, les événements, nos voyages intérieurs…  Deux souvenirs de chemin me sont venus à l’esprit.

Le premier est lumineux, nous nous rendions d’Aix à Andelot et son château ; j’avais oublié mon papier mais pas l’itinéraire, et le voyage a été incroyablement fluide. Ce n’est qu’après la dernière bifurcation dans la forêt que j’en ai fait part à la famille. Le deuxième souvenir est mortifiant. Je me rends seul près de Sisteron, je n’arrête pas de me tromper et au retour, ce n’est pas mieux : le bon col est fermé, très frustrant.

Nos voyages divers, nos cheminements eux aussi varient entre une grande fluidité et des à-coups, des retours en arrière, des détours. Alors, qu’en sera-t-il de nos chemins de vie à la lumière de l’évangile ? Trois acteurs vont nous guider : Jésus, les disciples et… le chemin : Jésus constamment en route, les disciples tentant de suivre et le chemin parsemé d’obstacles.

Jésus : constamment en route

Marc accorde beaucoup d’importance aux indications géographiques et aux itinéraires.

Avant la fatidique montée à Jérusalem, Jésus sillonne inlassablement la Galilée. Avec deux incursions notoires en territoire païen, en particulier dans la Décapole, une coalition de dix villes de culture grecque. On parle communément de géopolitique, Marc intègre ce concept à sa manière : il renvoie à des événements fondateurs du Premier Testament d’une part et prépare d’autre part l’après-Jésus, on va le voir. Mes deux souvenirs concernaient un itinéraire classique d’un point à l’autre. Mais parfois, on peut avoir urgemment besoin de quitter un endroit devenu trop pesant ; et dans ce cas, l’essentiel est de mettre de la distance. À l’inverse, on va vouloir avaler la route pour retrouver une personne au plus vite. D’autres fois, on va vouloir s’arrêter pour la visite d’un lieu ou d’une personne ; dans ce cas, c’est le voyage en tant que tel qui devient riche de sens. Un peu de tout cela va se cristalliser dans les déplacements de Jésus. Une première fois, il avait traversé le lac de Galilée pour le pays des Géraséniens, avec cet impressionnant épisode du possédé vivant dans les cimetières. Une fois délivré, il veut suivre Jésus mais non :

« Jésus ne le lui permit pas : « Retourne chez toi, dans ta famille, et raconte-leur tout ce que le Seigneur a fait dans sa bonté pour toi. » L’homme s’en alla donc et se mit à proclamer dans la région de la Décapole tout ce que Jésus avait fait pour lui ; et tout le monde était très étonné. »

Du coup, il devient le premier évangéliste en-dehors d’Israël, déjà l’après-Jésus ; mais si on ne sait pas qu’on est en territoire païen, on rate un élément essentiel.

Je parlais de vouloir quitter un lieu ou rencontrer des personnes en chemin. Dans la deuxième incursion qui est la plus longue, Jésus fait à peu près pareil. Tout d’abord, son déplacement dans la région éminemment païenne de Tyr est surprenant ; on réalise qu’il quitte une controverse longue et lourde avec les Pharisiens. Les fuit-il ? Veut-il respirer ? Est-il fatigué de leur fermeture ? Le contraste est fort avec la femme syro-phénicienne très ouverte et persévérante. Ensuite, il prend le chemin du retour mais par Sidon ; c’est comme aller d’ici à Cavaillon en passant par Dijon. Et une fois là-haut, au lieu de prendre l’autoroute du bord de mer, la voie directe, il passe par la fameuse Décapole tout à l’est ; là, il opère la guérison d’un sourd-muet qui va impacter toute la région. C’est d’ailleurs plutôt bien rendu dans la 3ème saison de The Chosen qui m’a incité à choisir ces textes.

Les disciples : tentant de suivre

Dans cette série justement, on se concentre sur le cheminement des disciples. Nous avons suivi un Jésus qui ne tient pas en place, qu’en est-il des disciples, qu’apprennent-ils ? Parce que ça bouge drôlement entre les multiplications des pains, les traversées agitées, les controverses serrées, les guérisons et les délivrances spectaculaires. Pour du stage pratique, c’est du concentré de chez concentré. Qu’ont-ils compris au terme de ces incroyables épisodes ? C’est en fait la question que Jésus leur pose précisément. 

Elle clôture du reste la troisième saison de The Chosen. Restera juste la guérison d’un aveugle avant de changer de phase.

« Pourquoi discutez-vous du fait que vous n’avez pas de pain ? Ne comprenez-vous pas encore ? Ne saisissez-vous pas ? Refusez-vous de comprendre ? Vous avez des yeux, ne voyez-vous pas ? …des oreilles, n’entendez-vous pas ? Ne vous rappelez-vous pas, quand j’ai partagé les cinq pains pour les 5 000 personnes, combien de corbeilles pleines de morceaux avez-vous emportées ? » – « Douze ». « Et quand j’ai partagé les sept pains pour les 4 000, combien de corbeilles pleines de morceaux avez-vous emportées ? » – « Sept ». « Et vous ne comprenez pas encore ? »

Sacrée énigme, en fait ; l’aurait-on résolue ? Avec, quand on relit ces chapitres, une constante inattendue : le pain. Qu’il s’agisse de miches insuffisantes ou multipliées ou même de miettes… Il est également assez surprenant d’entendre cette interro sur le nombre de pains et de corbeilles emportées au terme des multiplications : 5, 7, 12, 4000, 5000… Et 1 : tout part de l’oubli d’emporter du pain dans la barque, il y en a un seul.

Ils sont obnubilés : « Pourquoi discutez-vous du fait que vous n’avez pas de pain ? » Ils ont assisté à une première multiplication, 5 pains pour 5000 personnes puis à une seconde, 7 pour 4000 et là, avec leur miche, ils sont désemparés. Comme nous le sommes peut-être parfois face à de petits défis du quotidien ?

Le chemin : parsemé d’obstacles

Il est temps pour nous d’emprunter ce chemin et d’en débusquer les principaux obstacles. Tout d’abord, il y a une forme de panique face au manque. Deux fois pour les foules, avec une belle manifestation de compassion de Jésus, et une fois juste pour eux lors d’une traversée tranquille. Wesley disait : « On ne peut pas prêcher à un estomac vide ». Le manque de moyens fait perdre le peu de moyens dont on dispose. Et cela se reproduit jusque dans la barque, entre eux, sans réel enjeu. Panique face au manque.

Deuxièmement, on discerne un schéma répétitif d’incompréhension. Vous savez quand on ne comprend pas de suite, on se mure dans l’incompréhension. Là, elle s’installe après la première multiplication, la TOB traduit très bien : « Ils n’avaient rien compris à l’affaire des pains. » Cette remarque est faite après que la tempête ait été apaisée, et il y a une raison. Après la seconde multiplication, à nouveau dans la barque, la question resurgit ; Jésus évoque même un potentiel refus de comprendre. Il le répète encore à la fin du passage : « Ne comprenez-vous pas encore ? » Ils sont décidément comme ‘’l’élève Toto qui se donne de la peine et en a’’…

Troisièmement, il y a de toute évidence un problème de fond, et c’est l’incrédulité. Ils ont bien les chiffres en tête mais c’est comme les sondages : que disent-ils ? À quoi est-ce que cela nous renvoie nous, dans notre foi aujourd’hui ? Certes notre situation est différente, on a déjà vu –ou lu– tous les épisodes… Mais cela suffit-il si eux, après deux multiplications en live, ne comprennent pas ?

L’indice-clé se trouve lors de la traversée agitée dans cette stupeur à la vue de Jésus. On peut les comprendre mais c’était de l’incrédulité, il est là le problème de fond. Le Jésus multipliant les pains pour les foules était le Jésus marchant sur les eaux et traversant avec eux dans la barque avec une seule miche de pain. Incrédulité : « Méfiez-vous du levain d’Hérode et des Pharisiens ! » Hérode mélangeait tout, il croyait que Jésus était Jean ressuscité. Et les Pharisiens demandaient un signe alors qu’ils avaient eu les miracles. Les disciples aussi, et pourtant, les voilà pris de panique pour une miche de pain. Plus tôt dans l’évangile, les Pharisiens ont des oreilles et n’entendent pas, des yeux et ne voient pas ; et là, les disciples en sont presque au même stade. On peut d’ailleurs se demander si les récits de guérison d’un sourd et d’un aveugle dans ces chapitres ne viennent pas, en quelque sorte, illustrer ce risque de surdité et d’aveuglement. « Méfiez-vous de ce levain d’incrédulité », de mise en doute pourrait-on dire. De gens du dedans, ils deviennent des gens du dehors, hors du coup. Donc ni l’ancienneté ni la fréquentation régulière du cercle des croyants et des Écritures ne nous préservent de ce mauvais levain qui fait douter de Jésus. Vigilance !

Ne cédons pas à la panique face au manque, ne nous figeons pas dans la fatalité de l’incompréhension et veillons à la contamination ambiante de l’incrédulité. Panique, incompréhension, incrédulité, un chemin parsemé d’obstacles.

J’ajoute une réflexion en bonus : y a-t-il quelque chose de plus à comprendre ? Tout d’abord, bien sûr, il s’agit de véritables miracles. 5 pains pour 5000 personnes. Ensuite, c’est frappant, Juifs et païens ont droit au même traitement. C’est vraiment de la géopolitique de l’après-Jésus. Et puis, on peut noter une certaine importance symbolique des chiffres. 12 comme les patriarches, l’ancienne alliance ; et les futurs apôtres, la nouvelle. Une image de plénitude entre les croyants de ces deux alliances. Quant au chiffre 7, il symbolise une autre plénitude : celle du divin et de l’humain. Les païens n’ont pas la même histoire que le peuple élu mais ils sont des humains qui ont besoin de Dieu ; 7, l’addition du 3 et du 4.

Encore plutôt que toujours

Alors, pour nouer la gerbe et nous équiper en vue de notre cheminement. Pour avancer confiants et vigilants sur les chemins qui s’ouvrent. Dans les traversées banales du quotidien au cœur de nos barques, avec ces petits manques qui nous assaillent. À travers les moments exaltants comme les tempêtes effrayantes. Face aux risques de panique, d’incompréhension et d’incrédulité. Nous est renvoyée la question finale de Jésus, répétée à deux reprises : « Vous n’avez pas encore compris ? »

Jésus ne nous caresse pas dans le sens du poil mais il ne nous dit pas non plus : « Vous n’avez toujours pas compris ? » On n’est pas dans le « Et pan dedans, ça j’en étais sûr ! »

Jésus dit : « pas encore ». Il y a donc encore un espoir, une perspective, une marge de progression que nous offre le temps devant nous, sans même savoir de quoi il sera fait. Nous pouvons encore comprendre, prendre avec nous des dimensions de l’évangile. En miettes tombant de la table, en morceaux dans des corbeilles. En territoire familier, nos communautés ; ou au-delà de nos zones de confort.

Si nous voulons suivre Jésus, ce dont je ne doute pas, eh bien : « Retourne chez toi, dans ta famille, et raconte-leur tout ce que le Seigneur a fait dans sa bonté pour toi. » C’est ce que fait le délivré et il va même bien au-delà de sa zone de confort. Le chemin est tracé on ne peut plus clairement, ne reste qu’à l’emprunter en disciples à la suite de ce Jésus décidemment constamment en route.

Cette prédication s’appuie sur les épisodes entre la première et la seconde multiplication dans l’évangile de Marc (6.45-53 ; 7.24-37 ; 8.1-21).

NOTES

Dans 8.14-21, 2 motifs s’entrecroisent : le pain (miche) et le levain.

Le peu de pain est matériel.

Le levain dangereux est spirituel.

Dans les 2 multiplications, il y aurait eu de quoi nourrir le groupe.

La crise provient des besoins de la foule.

Là, même pour eux, 1 miche est insuffisante

>= la difficulté à accueillir l’évangile au-delà de soi, ses propres besoins, sa paroisse ?

Ce n’est pas un doute sur la capacité à multiplier, ils en ont été témoins et acteurs.

MAIS même après la 2ème, la pièce n’est pas tombée…

Le levain est celui de l’incrédulité.

Il guette les disciples comme l’indique l’incompréhension sur les 2 multiplications.

Le sens symbolique des nombres est peu retenu par les commentateurs.

Grand saut : dans 4.11, ce sont les pharisiens qui sont incrédules et eux les privilégiés.

Là ils courent le même risque !!!

Langage très proche du chap. 4

Les Insidiers peuvent devenir des Outsiders !

Incompréhension répétée sur les pains : 6.52 > 8.19-21

Prédication d’Antoine Schluchter, le 7 janvier 2024

Nos chemins de vie
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