Par Martin Hoegger

Dans un autre article, j’ai présenté le « Manifeste bleu », comme une des couleurs de l’Église réformée en Suisse romande. Et j’ai proposé de désigner les membres de notre Église qui se retrouvent dans ce texte comme des « réformés confessants ». D’autre part, récemment, dans la même ligne que la mienne, le pasteur zurichois Willy Honegger a plaidé pour « l’urgence d’une communauté confessante ».

Dès le milieu du 19e siècle, les Églises réformées de Suisse ont abandonné la récitation du Symbole des apôtres lors de la célébration du baptême et ont renoncé à demander aux pasteurs de souscrire à une confession de foi au moment de leur consécration. Même si des confessions de foi sont incluses dans des liturgies, leur récitation communautaire est dès lors à la libre disposition des célébrants. Il devint licite d’utiliser d’autres confessions que le symbole des apôtres, mais aussi de renoncer à tout usage d’une quelconque confession de foi.[1]

Malgré cette évolution, un courant confessant s’est maintenu, avec plus ou moins de vigueur dans nos Églises réformées.

Une expérience œcuménique forte que j’ai vécue durant les dix ans où j’étais délégué de la Fédération des Églises protestantes de Suisse à l’assemblée de la Communauté de travail des Églises chrétiennes en Suisse (CTECH) était à l’occasion du dialogue sur la Reconnaissance mutuelle du baptême signée en 2014 entre plusieurs Églises membres de la CTECH.[2]

Je me souviens de la stupeur des délégués des autres Églises lorsqu’ils ont découvert que les Églises réformées en Suisse avaient renoncé à toute confession de foi au moment du baptême. Cela a créé une crise entre les délégués qui ont été contraints à tenir compte de la particularité protestante.[3]

Dès le début du mouvement œcuménique moderne, lors de la Conférence de Foi et Constitution à Lausanne, en 1927, des voix réformées libérales se sont élevées pour protester contre l’inclusion des deux Confessions de foi de l’Église ancienne (Les symboles des Apôtres et de Nicée-Constantinople) comme base théologique du mouvement œcuménique.

Que diraient-elles aujourd’hui alors que le COE a introduit le symbole de Nicée-Constantinople dans sa Constitution lors de l’assemblée mondiale de Porto Alegre en 2006, comme critère déterminant si une Église peut en devenir membre ? L’acceptation de ce symbole de foi, dans sa forme originale, est maintenant devenue obligatoire pour toutes les Églises membres du COE. Ce symbole est devenu la base commune de tout dialogue multilatéral sous l’égide de COE.[4] Les Églises réformées en sont-elles conscientes ?

Elles le sont, en tout cas, dans le dialogue avec l’Église orthodoxe. En effet, pour donner suite à la proposition de Thomas F. Torrance, représentant l’Alliance réformée mondiale, ce même symbole a été accepté comme base de ce dialogue, ce qui a permis des convergences en matière de théologie trinitaire et de christologie.[5]

Plus proche de nous, le « Manifeste bleu » commence par citer les deux symboles de la foi : « En réponse à ce « Venez à moi » de Jésus-Christ, nous réaffirmons notre adhésion aux deux confessions de foi dans lesquelles des générations de chrétiens ont reconnu l’identité de Dieu, son Être et son Agir : le Symbole des Apôtres et le Symbole de Nicée-Constantinople ».[6]

Pour Oscar Cullmann la reconnaissance des confessions de foi de l’Église ancienne par les Réformateurs apporte un correctif au biblicisme.[7] Les maintenir a aujourd’hui une grande signification œcuménique, selon W. Pannenberg.[8] Les réciter régulièrement durant le culte enracine la foi dans les consciences et la structure. Pour J.J. Von Allmen, il est « impossible à l’Église de se rassembler sans faire l’aveu de ce qu’elle est, de ce qu’elle fait et de ce qu’elle croit :…elle est celle qui trouve sa raison d’être à confesser le Père le Fils et le Saint Esprit » ».[9]

Pluralisme ou pluralité?

Pour se renouveler, l’Église réformée ne sera – pour utiliser des termes allemands – ni « Konfessionslos », sans confession de foi, ni « Konfessionsfrei », c’est-à-dire libre de choisir la confession de foi qui nous convient ou qui correspond à nos convictions. La première option est celle du libéralisme théologique. Dans un texte polémique intitulé « Réciter le “credo”? – je préfère me taire » sur le site d’Évangile et Liberté, Bernard Reymond appelle à « respecter la liberté doctrinale qui caractérise nos Églises réformées actuellement ».[10]

La deuxième option est la voie choisie par la Fédération des Églises protestantes de Suisse  (devenue en 2019 l’Église évangélique réformé de Suisse) dans un « livre outil » qui propose une diversité de confessions de foi dont aucune n’est obligatoire et qui essayent de ménager la chèvre et le chou avec des textes dont les christologies sont contradictoires.[11] C’est aussi le projet d’un rapport sur le pluralisme de l’Église évangélique réformée du canton de Vaud.[12]

Cependant, si de nouvelles confessions voient le jour – pratique fréquente dans le protestantisme – Von Allmen note qu’une des conditions est qu’elles ne « donnent pas l’impression de tricher » en escamotant certaines affirmations des Crédos traditionnels, comme l’incarnation et la résurrection du Christ, sa divinité ou son retour en gloire.[13]

Les réformés confessants affirment qu’il n’est pas légitime de tenir ensemble des confessions de foi qui incluent des affirmations contradictoires, comme le veut le pluralisme théologique.

En revanche une légitime pluralité théologique qui inclut des affirmations complémentaires doit être soutenue. En bref : le pluralisme inclut des énoncés contradictoires alors que la pluralité inclut des énoncés complémentaires.

Le dialogue entre la Fédération luthérienne mondiale et la Communion mondiale des Églises réformées invite justement à mettre en valeur la pluralité légitime qui s’exprime dans les Confessions de foi de l’Église ancienne, comme dans les textes confessionnaux de la Réforme :

« Luthériens et réformés partagent un héritage commun d’écrits confessionnels existant dans une diversité dogmatiquement réconciliée, donc légitime. Ils partagent une compréhension de l’Écriture qui est contextuelle par nature. Ils sont donc unis, et non divisés, par cette diversité légitime des écrits confessionnels. Unis dans un héritage commun d’actes et d’écrits confessionnels, luthériens et réformés sont unis dans la confession de l’Évangile de Jésus-Christ ».[14]

En affirmant qu’il est « confessant », le Manifeste bleu du Rassemblement pour un renouveau réformé (R3) se situe dans cet héritage que luthériens et réformés partagent pour l’essentiel. Il se joint à d’autres mouvements protestants en Europe, comme les Attestants et la Fraternité de l’Ancre en France, Unio Reformata en Belgique, le Landeskirchen Forum et Bibel und Bekenntnis en Suisse, ou encore l’Evangelisch Werkverband aux Pays Bas.[15]

Lors de la publication du Manifeste bleu, nous – des membres du R3 –  avons visité plusieurs évêques et responsables catholiques et orthodoxes de Suisse romande pour le leur présenter. Dans l’ensemble ils ont accueilli avec reconnaissance ce document, expression d’un protestantisme confessant avec lequel, pour l’essentiel, ils se reconnaissent en communion de foi.

Martin Hoegger

martin.hoegger@gmail.com


[1] Voir la page de l’Église réformée Berne-Jura-Soleure à ce sujet : http://www.refbejuso.ch/fr/fondements/les-confessions-de-foi

[2] Sur la Déclaration de Riva San Vitale, voir https://agck.ch/fr/la-reconnaissance-reciproque-du-bapteme/

[3] Voir mon texte où je pose quelques questions aux réformés à partir du dialogue de la CTECH sur cette question : https://www.academia.edu/11365877/Un_%C3%A9largissement_de_la_reconnaissance_mutuelle_du_bapt%C3%AAme

[4] Comme en témoigne le travail de la commission Foi et Constitution Confesser la foi commune. Explication œcuménique de la foi apostolique telle qu’elle est confessée dans le Symbole de Nicée. Paris, Cerf, 1993.

[5] Cf. Lukas Visher, éd. Agreed Statements from the Orthodox-Reformed Dialogue. Word Alliance of Reformed Churches, Geneva, 1998, p. 12. Sur l’historique de ce dialogue, lire: Joseph D. Small, “Orthodox and Reformed in Dialogue: the agreed statement on the Holy Trinity”, In: The Witness of Bartholomew I, Ecumenical Patriarch, William G. Rusch, ed. Grand Rapids: Eerdmans Publishing, 2013.

[6] Manifeste bleu, p. 11s

[7] L’unité par la diversité, Cerf, Paris, 1986, p. 35

[8] « Die Bedeutung des Bekenntnisses von Nicae-Konstantinopel für den oekumenischen Dialog heute », Oekumenische Rundschau, 1982, p. 129ss.

[9] Célébrer le salut. Labor et Fides – Cerf, Genève, Paris, 1984, p. 205-206

[10] https://www.evangile-et-liberte.net/elements/archives/151.html

[11] Voir : Confessions de foi réformées. Un livre-outil. OPEC, 2009

[12] L’EERV s’interroge sur son identité. Réformés 4 déc. 2018

[13] Op. Cit. p. 219. Il donne comme exemple trois confession de l’Église réformée de France) parues en 1963. On pourrait aujourd’hui en rajouter des dizaines !

[14] Communion. On being the Church. Report of the Lutheran–Reformed Joint Commission between the Lutheran World Federation (LWF) and the World Communion of Reformed Churches (WCRC), 2006–2012. §153-154. https://www.lutheranworld.org/sites/default/files/DTPW%20Reformed-Lutherans%202014_0.pdf

[15] La Revue Hokhma consacre son numéro 117/2020 à ces mouvements confessants. Sur le R3, en particulier, voir l’article de Gérard Pella sur « Le rassemblement pour un Renouveau réformé » et le mien « Du Forum évangélique réformé au R3 ».

L’Église réformée peut-elle être à nouveau confessante ?

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