Qualité de vie et avenir de l’EERV

 (Recherche auprès de quelques collègues et laïcs)

 Par le pasteur Etienne Roulet  

                  

                                                      Introduction

 Les Eglises se vident ?

J’ai souvent lu ou entendu ces propos ces derniers temps. Lorsque c’est dans la presse, je ne m’étonne pas, celle-ci aime les thématiques qui « accrochent » et font réagir. Lorsque ces propos viennent de nos autorités d’Eglise, je m’interroge : est-ce là notre seul message à la société vaudoise du 21ème siècle ? D’autant que cette affirmation s’accompagne souvent de corollaires présentés comme inévitables : il faudra réduire le nombre de paroisses et de cultes, et fermer des temples. Où sont la confiance et l’espérance ?

Je suis bien conscient que certaines paroisses vivent des temps difficiles et que certaines assistances au culte dominical sont misérables. Mais il y en a d’autres qui se portent bien et dont les lieux de culte se remplissent chaque dimanche matin. Et pour celles qui ont de la peine, n’y a-t-il pas d’autres solutions que de « fermer boutique » ? Y a-t-il là comme une fatalité ?

Quand j’évoquais le fait que certaines paroisses, comme celle de la Vallée de Joux, ont la chance de vivre bien, on me répondait souvent que :

  • c’est parce que c’est la Vallée (milieu sociologique et situation géographique particulière)
  • c’est parce ce sont des « évangéliques » (sic) (fort sentiment d’appartenance communautaire)
  • c’est grâce aux pasteurs (sous-entendu : là où cela va moins bien, c’est de leur faute !)

Ces trois arguments ne me convainquaient pas, car je connais (ayant fait depuis 6 ans des remplacements dans plusieurs endroits) des paroisses qui vont bien, mais qui ne sont pas à la Vallée et ne sont pas « évangéliques » (il faudrait d’ailleurs interroger ce genre d’étiquette que je trouve réductrice, cf. plus bas en p. 10). Quant à la responsabilité du (des) pasteur(s), elle est certes indéniable, mais l’argument est un peu facile.

J’ai donc eu envie de réfléchir (et de faire réfléchir) plus loin, et d’interroger quelques personnes sur cette thématique, avec l’accord du Conseil régional de la région 6.

 

Titre, enjeux et limites

 Dans certains milieux (bien « évangéliques » ceux-là), on parle de facteurs de succès ou de facteurs de croissance pour expliquer les raisons qui permettent à une vie communautaire de bien se développer. Je n’aime pas les termes de succès ou de croissance, l’Eglise n’étant pas une multinationale qui doit engranger des bénéfices, et dont les courbes statistiques seraient le seul horizon de réflexion. Mais la question reste pertinente.

Je préfère parler de qualité de vie et c’est là l’enjeu de ma recherche : essayer de déterminer quels sont les facteurs qui permettent (ou ont permis) à telle communauté locale de grandir, ou en tous cas de ne pas diminuer (et sans porter un quelconque jugement de valeur sur les autres !). Il faudrait évidemment mieux cerner ce que l’on entend par qualité de vie, quels en sont par exemple les indicateurs et comment on les évalue. De manière simple (simpliste ?) je dirais que cela se mesure tant quantitativement (présence au culte et autres activités, nombre d’enfants et jeunes, recrutement aisé de moniteurs, catéchètes, etc.), que qualitativement (des paroissiens heureux et désireux de se rencontrer, fort sentiment d’appartenance, voire fierté d’être réformé). Mais ce préalable à la recherche devrait évidemment être approfondi.

J’ai ajouté comme autre enjeu l’avenir de l’EERV, car je suis persuadé que cet avenir n’est pas fait que de diminutions et de fermetures, et que des communautés en difficulté peuvent retrouver cette qualité de vie dont d’autres bénéficient. Mais quels seront les changements nécessaires et les adaptations inévitables ? Vers quoi va-t-on ou désire-t-on aller ? La réponse à ces questions déterminera la formation à apporter à nos jeunes ministres et l’aide à offrir aux paroisses en difficulté (cf. questions ci-dessous)

 

Les limites de cette réflexion sont nombreuses :

  • je n’ai aucune formation de sociologue de la religion et aucune prétention à proposer des résultats ayant valeur statistique et scientifique sérieuse
  • je n’ai interrogé que quelques personnes (cf. ci-dessous) et dans un temps limité
  • les questions elles-mêmes (cf. ci-dessous) pouvaient prêter à confusion
  • je ne me suis intéressé qu’à la situation des paroisses, mais cela ne signifie évidemment pas que les services communautaires et les aumôneries ne participent pas eux (elles) aussi, mais d’une manière différente, à la qualité de la vie de l’EERV.

 

Ma seule ambition est de lancer une réflexion en souhaitant que d’autres (plus experts) la poursuivent et l’étendent. Je ne connais pas tout ce qui se vit et se développe au niveau cantonal de notre Eglise (le projet Khi par exemple), mais jusqu’ici je n’avais pas trouvé d’indice que  ce type de recherche était mené (mes excuses si je me trompe !).

 

Clés de lecture

Avant de commencer, j’avais tout de même cherché quelques éléments qui pourraient me permettre d’établir un cadre de référence, auquel comparer les résultats obtenus. J’en ai retenu trois :

  • Simon Weber (que j’ai rencontré en premier et que je remercie de son accueil) m’a indiqué les 8 facteurs de croissance établis (sauf erreur de ma part) dans l’Eglise anglicane :

Conviction / Leadership / Formation et développement / Accueil et convivialité / Accent sur l’enfance et la jeunesse / Engagement des laïcs / Disposition au changement / Adéquation au contexte (social notamment).

Dans le même sens, Gérard Pella m’a indiqué un  ouvrage d’un théologien allemand (Ch. Schwartz) proposant une liste assez semblable, quoique avec des accents différents :

Responsabilités déléguées / Service selon les dons / Spiritualité enthousiaste / Structure efficace / Cultes édifiants / Groupes de maison / Evangélisation adaptée / Relations amicales.

  • Simon Weber m’a également proposé une formule que je trouve intéressante :

Il faut passer aujourd’hui d’une Eglise de proposition à une Eglise de lien.

 Elle est significative car l’expression Eglise de proposition date d’à peine 20 ans : à l’époque d’Eglise à Venir (EàV), il fallait passer d’une Eglise de tradition à une Eglise de proposition. On pensait alors que, si les gens ne venaient plus participer par habitude, il suffisait de leur proposer des offres de qualité pour les intéresser. 20 ans après, cela ne suffit plus, l’offre étant pléthorique sur le marché du religieux. Nos contemporains recherchent essentiellement du lien, à l’heure où tout le monde est connecté avec le monde entier, sauf peut-être à soi-même et à son voisin (telle est du moins mon interprétation).

 

  • Olivier Calame enfin, dans une série de soirées à Vallorbe animées avec Ariane Baehni, a proposé trois scénarios pour évoquer l’avenir de l’Eglise, en utilisant une métaphore navale (entre « … » les explications d’Olivier, entre (…) mes commentaires)
  • Une Eglise-naufrage, mot-clé : fidélité

« On ne peut rien faire pour résister sans nous renier, il vaut mieux disparaître pour renaître plus tard »  (ER: on se résout donc à une disparition inévitable et on prépare une « fin en beauté »)

  • Une Eglise-cuirassé, mot-clé : solidité

« En cas de crise, tout le monde reviendra, restons fermes sur nos positions »  (ER: on renforce donc les structures actuelles pour tenir le coup, en attendant des jours meilleurs)

  • Une Eglise-flottille, mot-clé : souplesse

« Adoptons des structures légères quand c’est encore possible »  (ER: on envisage et prépare donc une structure différente et beaucoup plus souple, l’important étant de vivre et d’avancer ensemble « dans le même courant »).

 

Personnes rencontrées et questions

Je l’ai dit plus haut, cette recherche est limitée. J’ai donc choisi de rencontrer une bonne vingtaine de personnes, dans une quinzaine de lieux d’Eglise. Par souci d’avancer plus facilement je n’ai fait appel qu’à des gens que je connaissais (et qui me connaissaient). Ce sont des ministres et des laïcs, d’âges différents, de lieux d’Eglise différents (ville-campagne-montagne) et de sensibilités différentes (réformée classique, liturgique  ou « évangélique »). J’ai également pris l’option de ne questionner que des gens qui proviennent de paroisses « qui vont bien », pour éviter d’apparaître comme un inquisiteur qui « vient voir ce qui ne va pas ». Une recherche plus poussée devrait évidemment combler cette lacune-là.

 

A chacune ou chacun j’ai posé 4 questions. J’ai choisi des questions ouvertes pour ne pas (si possible) induire les réponses :

  • Quels sont pour vous les facteurs qui font que votre communauté se porte bien ?

(C’est une question très générale, qui fait plus appel au ressenti qu’à une analyse précise des facteurs, en relation avec un cadre de référence déterminé; les réponses sont donc assez diverses et non exhaustives)

  • Quelle vision avez-vous de notre Eglise dans 20 ans ?

(Là aussi la question reste générale et peut signifier ou bien : que souhaitez-vous (ou      craignez-vous), ou bien : quel avenir pensez-vous inévitable ? les deux types de réponses se retrouvent dans le résultat)

  • Quelle formation faudra-t-il proposer aux ministres (en fonction des facteurs et de la vision recensés ci-dessus) ?

(Pour les futurs pasteurs, la question ne porte pas sur le niveau d’études académiques   je pars du principe qu’elle sera toujours de niveau universitaire; elle porte plus sur la formation pratique délivrée par l’OPF)

  • Comment venir en aide aux paroisses qui vivent des temps difficiles ?

(Cette question part de l’idée, déjà exprimée plus haut, que la suppression ou la fermeture de lieux d’Eglise ne sont pas inévitables; on peut imaginer que des communautés se soutiennent entre elles et que les plus fortes aident les plus fragiles).

 

A partir de là

Je vais donc, dans une première partie, faire la synthèse des réponses reçues, question par question, en essayant de faire droit à chacune, et en les mettant en perspective avec les clés de lecture recensées plus haut.

Dans une seconde partie, je me livrerai personnellement au même exercice de réponse aux 4 questions, avec des commentaires comparatifs avec la 1ère partie, et proposerai deux autres réflexions personnelles.

 

Une brève conclusion tentera de mettre le tout en perspective.

 

1ère partie : les réponses recensées

 

Question 1 : Quels sont pour vous les facteurs qui font que votre communauté se porte bien ?

(Je mets en italiques gras les termes utilisés par mes interlocuteurs et qui se retrouvent dans les diverses clés de lecture présentées plus haut)

Les réponses qui reviennent le plus souvent peuvent se regrouper en un certain nombre de thématiques :

 

  • Tout ce qui touche à l’identité, la conviction, la vision d’Eglise et la motivation : être (ou devenir) une communauté qui sait qui elle est, ce qu’elle croit, ce qu’elle souhaite devenir, en affichant clairement ses convictions et sa motivation, et en se fixant des objectifs. L’Eglise ne doit plus faire « profil bas » mais s’affirmer avec élan et enthousiasme (culture du témoignage), proposer une identité forte et attractive.
  • L’importance de la vie spirituelle : formation à la vie de prière personnelle et au développement communautaire, offre de cultes diversifiés (tous âges), participatifs (rôles des laïcs) et attractifs (musique, accueil, …), pour stimuler la fidélité et la confiance. La prédication se centre sur la vie des gens, en prise avec l’actualité, pour transmettre une Parole pertinente.
  • L’accent mis, dans la communauté, sur le lien : garder, soigner le lien, les relations courtes, le sentiment d’appartenance, et ainsi faciliter l’intégration des nouveaux et des jeunes, par l’accueil et la convivialité. Développer une culture de la joie et du plaisir, de l’écoute et de l’accompagnement, des relations amicales, de la visite, de l’ « être vrai », une vraie théologie communautaire.
  • La construction de la communauté est souvent évoquée comme indispensable : il ne s’agit pas seulement de structures efficaces, mais de savoir discerner les charismes des laïcs et déléguer des responsabilités, pour que chacun-e soit à sa place, et bien formé-e à sa tâche. C’est tout le domaine de l’engagement des laïcs et du service selon les dons. Le rôle principal de leadership est dévolu au conseil de paroisse, qui doit être fort et soudé, et savoir discerner quelle est la place de chacun. C’est dans ce cadre solidaire que s’inscrivent les ministres avec leur personnalité et leurs charismes.
  • Toujours au chapitre de la communauté, deux éléments de base apparaissent très souvent : l’accent à mettre sur les familles, (enfance et jeunesse notamment), et les groupes de maison (ou groupes de partage). Ces deux « lieux d’Eglise » sont indispensables pour soutenir la vie communautaire et le sentiment d’appartenance. Les camps-famille sont souvent des moteurs essentiels de la vie paroissiale.
  • En contrepoint à ce qui pourrait apparaître comme un recentrement sur l’interne, la plupart des interlocuteurs soulignent la nécessité de rester une Eglise ancrée dans le tissu local (village, quartier), en adéquation au contexte social et ses réalités, qu’il faut analyser de manière pertinente. Etre capable de « sortir vers… » pour répondre aux besoins des gens (pas seulement des membres de la communauté). On ne peut plus attendre que les gens viennent, il faut « aller les chercher ».
  • Plusieurs soulignent enfin que, pour se développer, les communautés locales ont besoin d’une structure ecclésiale plus souple, plus en réseau, permettant la mobilité et l’esprit d’entreprise (disposition au changement), par la liberté d’action et la délégation de compétence. On retrouve là l’idée de l’Eglise-flotille.

 

Question 2 : Quelle vision avez-vous de notre Eglise dans 20 ans ?

(Comme dit plus haut, les réponses peuvent exprimer soit le souhait ou la crainte, soit une prévision réaliste de ce qui adviendra de toute façon).

Il est plus difficile dans ce chapitre de trouver des consensus et peut-être que la coloration ecclésiale joue plus de rôle dans la vision de l’avenir (notamment en ce qui concerne une restructuration de notre Eglise).

Tout le monde est conscient que notre « socle de base » s’effrite et que nous serons moins nombreux, la question du soutien financier de l’Etat étant forcément une inconnue importante.

Il faudra donc développer une nouvelle forme d’Eglise, toujours ouverte au dialogue avec le monde et la société, toujours accueillante à tous (proximité de terrain), mais probablement plus confessante. Il s’agira donc (comme évoqué à la question 1) de revenir à l’essentiel du témoignage chrétien, dans une identité affirmée et assumée. Certains parlent à ce sujet d’un « réveil spirituel » nécessaire et d’une nouvelle « évangélisation ». Mais d’autres craignent le congrégationalisme et sont attachés au principe du « service public ».

 

A partir de là, deux visions se différencient :

  • celle, plus « presbytérienne », qui valorise la communauté locale, considère les fusions de paroisses comme dommageables (signe de repli), mais envisage la coexistence de communautés territoriales avec d’autres se regroupant plus par affinité. C’est la logique du réseau.
  • celle, plus « synodale », qui verrait bien des ensembles paroissiaux plus grands, ou plus spécifiques (cf. les lieux-phares), avec des pools de ministres pour les desservir et des événements forts pour les visibiliser. C’est une logique plus structurelle et centralisée.

Mais de manière plus commune à tous, on note le souhait de structures allégées dans l’Eglise, d’une plus grande liberté sur le terrain, en raison de la mobilité toujours plus grande des fidèles. Le rôle des laïcs sera de plus en plus prépondérant. La qualité de l’offre et le professionnalisme des acteurs sera déterminant.

Plusieurs enfin évoquent la nécessité de résoudre dans notre Eglise les tensions entre sensibilités théologiques, en ouvrant un dialogue plus clair et constructif avec celle dite « évangélique » (œcuménisme intra-protestant).

 

Question 3 : Quelle formation faudra-t-il proposer aux ministres ?

(Rappel : la question portait sur la formation pratique délivrée par l’OPF. Même si certains l’ont mentionnée comme une opportunité intéressante, je n’entre pas ici en débat sur la question de la future HET-PRO de St-Légier).

 

Le premier groupe de réponses est intéressant, car il porte sur la formation spirituelle des futurs ministres : ils auront besoin de fortifier leur foi personnelle par des temps de ressourcement, pour être mieux à même de rayonner, et de soigner leur propre développement personnel pour vivre dans la joie et la sérénité, et être au besoin capable de remise en question. Une personne a même parlé de développer la « sainteté personnelle » (= exigence du comportement), une autre souhaite que les ministres « apprennent la volonté du Christ » avant d’être des prestataires de service.

Un deuxième groupe de réponses tourne autour de la notion de leadership et de capacité de témoignage personnel, soit être en premier lieu des témoins de l’Evangile dans la militance et la clarté des positions. On souhaite des « missionnaires » plus que des assistants sociaux, dans une perspective et une connaissance de la mission de l’Eglise universelle.

La compétence théologique doit s’accompagner d’une bonne connaissance du  monde contemporain et de ses enjeux, d’une compétence d’ « analyse du terrain » pour pouvoir offrir une prédication incarnée et  pertinente.  Dans ce sens, quelqu’un soulignait l’enrichissement d’une autre formation professionnelle préalable.

 

Assez logiquement ensuite, les capacités d’écoute et d’empathie sont fortement désirées : gestion des relations humaines et des émotions, connaissances pédagogiques et psycho-sociales, écoute des besoins. On souhaite aussi des personnalités aptes à construire, former et animer la communauté, à discerner les dons, en collaboration avec les autres ministres et les responsables laïcs (travail en réseau).

La maîtrise des outils de communication actuels est évidemment requise, mais aussi la capacité de communiquer simplement dans le face à face. De même il est souhaité une attitude de souplesse et un esprit de service et de disponibilité. Il faut apprendre à travailler et accepter les contraintes (horaires par ex.) du ministère.

Le seul thème ou des divergences apparaissent (et c’est lié à la vision de l’avenir de l’Eglise, entre logique de réseau et logique de centralisation, cf. § 2), est le suivant : certains demandent qu’on forme toujours et d’abord des généralistes, capables d’être à l’aise un peu partout (ce serait la demande prioritaire des paroissiens), d’autres pensent plutôt à des formations de spécialistes, les profils de postes devant être adaptés aux compétences.

 

Question 4 : Comment venir en aide aux paroisses qui vivent des temps difficiles ?

Cette question a surpris certains interlocuteurs, comme si elle concernait d’abord les autorités de l’Eglise, et devait donc se résoudre par des mesures de réorganisation.

D’autres ont commencé par dire qu’il est toujours difficile d’aider (risque d’être mal perçu pour l’un ou jugé pour l’autre, ou manque de forces ministérielles). Il faudrait, de la part de ces communautés en difficulté, beaucoup d’humilité pour oser demander et avoir envie de vivre autre chose, et du côté des autres paroisses, beaucoup de douceur et de tendresse pour déculpabiliser.  Mais une fois le débat ouvert, on recense plusieurs idées intéressantes :

  • aider à analyser le terrain et les raisons des difficultés, pour repérer les vrais besoins et rebâtir de zéro, tout en valorisant le positif existant (diagnostic)
  • offrir un réseau de soutien (prière), de ressourcement et d’écoute mutuelle, pour lutter contre la déprime et redonner espérance (spiritualité)
  • offrir de vrais liens de fraternité, par des échanges, des visites (cultes, fêtes paroissiales), des témoignages, des partages d’expériences (solidarité)
  • proposer des collaborations ponctuelles pour relancer une activité ou un groupe : événement local, évangélisation, jeunesse, catéchisme, groupes de maison, camps-familles (action)
  • demander aux autorités de renforcer l’équipe ministérielle, même temporairement, et aux collègues de la région de manifester leur soutien et leur solidarité (appui).

 

De manière générale, l’avis est qu’il ne faut surtout pas « abandonner le terrain » (cf. regroupement de paroisses, fermeture de lieux de cultes). Au contraire il faut soutenir en priorité les plus faibles et réinventer l’utilisation régulière de tous les lieux de cultes. On parle aussi de « parrainage » d’une petite communauté par une plus grande, ou de « paroisses-associées », en reconnaissant la légitimité d’une structure légère et adaptée au lieu.

 

En résumé :

En recensant toutes mes notes prises autour de la question 1, j’ai été frappé, d’une part par le nombre de références implicites aux clés de lecture présentées en introduction (que je n’avais évidemment pas citées dans l’entretien et qui n’étaient pas forcément connues comme telles), et surtout par le fait qu’il n’y a aucune différence ou ligne de partage entre des visions à coloration évangélique, ou plus réformée classique. Les mêmes constats sont faits, à des nuances près, par tout le monde ou presque.  Ceci est très important et encourageant.

Les réponses à la question 2 sont à la fois convergentes en ce qui concerne l’avenir de l’Eglise et la nécessité de reformuler une identité spirituelle claire et affirmée, et divergentes quant à l’ecclésiologie future. Mais le consensus se refait autour de deux souhaits : l’allègement des structures de l’Eglise et l’unité entre sensibilités spirituelles différentes.

A la question 3 on a l’impression que les futurs ministres devraient savoir tout faire et être quasi parfaits (!). L’intérêt me semble être l’accent prioritaire mis sur la personnalité et la foi vécue du jeune ministre, avant les compétences techniques. Généraliste ou spécialiste, la question reste ouverte.

La question 4 permet de voir le réel souci spirituel et fraternel pour les paroisses en difficulté. Il est non seulement possible mais nécessaire de ne pas les « laisser tomber ». Ce devrait être une priorité d’Eglise.

 

2ème partie : mes propres réponses

 

Note : J’ai évidemment essayé dans l’interview de ne pas induire les réponses à partir de mes propres opinions, mais c’est parfois difficile (notamment lorsqu’on reformule une question mal comprise). Je le dis honnêtement car je me retrouve dans la plupart des réponses don- nées. Et là ou les réponses partaient dans des directions différentes j’expliciterai mes choix.

 

Question 1 : Quels sont pour vous les facteurs qui font que votre communauté se porte bien ?

Globalement je me retrouve bien dans tout ce qui a été dit et je ne vois aucune contradiction dans les différentes qualités énumérées.

Je retiendrai particulièrement la notion de lien. Cela ne signifie évidemment pas qu’il faille renoncer à une recherche théologique (et donc une prédication) ou des activités de qualité, mais les paroissiens, dans le  monde et la société éclatée d’aujourd’hui, ont un besoin grandissant de liens de proximité, sans compter que la foi est d’abord lien personnel avec Dieu, avant d’être savoir théologique.

L’autre élément qui me semble particulièrement important est l’accent mis sur la famille et le groupe de maison. Pour moi, ce sont les cellules de base de toute communauté locale, qui lui donnent sa vie interne, et sans lesquelles le culte risque de n’être qu’une assemblée disparate d’individus isolés. (La famille est d’ailleurs le thème actuel de réflexion de la Cevaa, sous le titre « Famille, Evangile et Culture, dans un monde en mutation »; un séminaire sur ce thème a réuni en septembre 2016 à Sornetan des délégués de toutes les Eglises membres en Europe). Quant aux groupes de maison ils sont non seulement des lieux de prière et de partage, mais aussi les premiers lieux de l’entraide et du soutien mutuel entre paroissiens. J’aime bien donc la définition de la paroisse proposée par le « Manifeste bleu » du rassemblement réformé (R3) quand il dit qu’elle est une « communion de communautés ».

Enfin je découvre la nécessité de construire la communauté locale à partir d’une vision partagée, se traduisant ensuite dans des convictions et une militance active. Je vois bien que notre Eglise n’a pas été formée jusqu’ici dans ce sens, et que nous devrons apprendre à le faire.

 

Question 2 : Quelle vision avez-vous de notre Eglise dans 20 ans ?

Je partage bien sûr la prévision que beaucoup de choses vont changer et qu’il faudra être ouverts à ces changements, avec discernement mais aussi confiance. Quels que soient les aléas à venir, je suis convaincu que « Dieu n’abandonne pas son Eglise » et que nous ne devons pas être dans un état d’esprit de repli, mais plutôt de renouveau et d’approfondissement.

Je suis aussi assez persuadé que nous allons vers la fin de la territorialité comme principe de base du découpage des paroisses. Il y aura bien sûr toujours des communautés liées à un territoire (dans les zones rurales ou de montagne notamment), mais en ville cela aura de moins en moins de sens. D’autres types de « paroisses » rassembleront des fidèles autour d’une sensibilité ecclésiale ou d’un projet particulier (type « lieux-phares » actuels). L’important sera d’assurer le lien spirituel entre les différentes formes et éviter le communautarisme.

Nous allons donc, me semble-t-il, vers une ecclésiologie plus congrégationaliste. Ou, dit autrement, l’équilibre de notre système presbytéro-synodal tendra plutôt vers le premier pôle (alors qu’aujourd’hui il me semble qu’on cherche à renforcer le second). Par rapport aux deux variantes présentées plus haut (cf. bas de p. 5), je suis convaincu que c’est la première (logique du réseau) qui s’affirmera, dans le sens aussi de l’Eglise-flotille. Et je partage amplement la demande d’allègement des structures de l’Eglise pour favoriser l’esprit d’entreprise sur le terrain. Pour le résumer en une formule : « resserrons les liens, pas les boulons » !

Je pense enfin (cela n’a, à mon souvenir, pas été évoqué) qu’il faudra préparer et former des laïcs à être prédicateurs. Beaucoup d’autres Eglises de la Réforme connaissent ce système, et nous avons la chance de disposer de plusieurs dizaines de diplômés du Séminaire de culture théologique, tout à fait aptes à cette fonction.

 

Question 3 : Quelle formation faudra-t-il proposer aux ministres ?

Comme la majorité de mes interlocuteurs, je relève la nécessité d’une formation spirituelle et personnelle équilibrée des futurs ministres. La formation théologique est certes un préalable indispensable, mais cela ne suffit pas, ce n’est pas cela qui emporte l’adhésion des paroissiens.

Ce que j’ajouterai c’est que nous devrons passer d’une vision « fonctionnaire » à une vision « missionnaire » du ministère. Comme j’ai déjà utilisé ailleurs cette expression et que j’ai entendu des réactions, je l’explicite : le mot « fonctionnaire » n’est pas péjoratif, il désigne simplement quelqu’un qui a été formé pour offrir une prestation de qualité à un public plus ou moins large et ciblé, mais en des lieux et des horaires définis; il attend donc sa « clientèle », espérant que la publicité faite sera suffisamment attractive; c’est l’ Eglise de proposition (cf. ci-dessus, haut de p. 3). Le mot « missionnaire » (à dégager évidemment de tout son passé colonial) désigne quelqu’un qui n’attend pas pour aller à la rencontre des autres, qui est libre des contraintes d’horaire et de lieu, et qui se rend disponible pour aller vers les autres annoncer son message. C’est le ministre d’une Eglise de lien.

Pour cela la formation pratique doit mettre le plus rapidement possible les stagiaires en situation de responsabilité réelle pour les sortir de leur « zone de confort ». La formation devrait également leur donner la possibilité de s’ouvrir à la dimension universelle de l’Eglise par des stages à l’étranger,  y compris dans des zones de précarité. Quant à l’alternative : former des généralistes ou des spécialistes, j’opte résolument pour le premier terme.

 

Question 4 : Comment venir en aide aux paroisses qui vivent des temps difficiles ?

Je suis frappé du fait que, lorsque nous parlons de l’Eglise (au sens de l’EERV), on évoque immédiatement la région, le synode, le conseil synodal … mais jamais la paroisse voisine ! Or une paroisse n’est pas d’abord une circonscription administrative, reliée à l’ensemble par le haut. J’emprunte ici aussi une formule au Manifeste du R3 : « l’Eglise est une communauté de

communautés », qui doivent être solidaires entre elles. Il suffit de relire les Actes des Apôtres pour redécouvrir cette réalité. Je ne peux évidemment pas être en lien direct et régulier avec toutes les paroisses de l’EERV, mais au minimum avec celles de ma région. Et me préoccuper de ce qu’elles vivent, et donc me soucier particulièrement de celles qui vivent des difficultés. C’est dans ce sens que j’accueille avec intérêt les diverses propositions faites ci-dessus (p. 7).

Et qu’on ne vienne pas me dire qu’ « on n’a pas le temps » ! Si c’est une priorité, on prend le temps (et ce sera réciproque). On peut déjà simplement prier régulièrement les unes pour les autres (et se le dire). On peut ensuite se visiter, au moins une fois par an lors d’une fête paroissiale, comme le font les membres de chœurs  mixtes assidus aux soirées des sociétés de leur giron. Mais ces liens horizontaux (et donc hors contrôle hiérarchique) seront-ils acceptés et encouragés par les niveaux d’autorité supérieurs ?

Sur le plan stratégique de l’avenir de notre Eglise, il me paraît inquiétant de commencer par parler de diminution, fermeture, fusion, etc… donc de repli. C’est une attitude de défaite, alors que  nous proclamons une Bonne  Nouvelle qui devrait être contagieuse. Au contraire, cherchons comment « habiter » chaque lieu de culte, au moins une fois par semaine (prière, groupe biblique, etc…). Et s’il ne reste dans un village ou dans un quartier qu’un petit groupe de fidèles, laissons-lui une autonomie d’organisation suffisante, quitte à ce qu’il soit rattaché administrativement à un plus grand ensemble (église-associée), ou soit « parrainé » par une autre communauté. Dans une Eglise-flotille, peu importe la taille de chaque embarcation, l’important est que ce soit le même Souffle qui gonfle leurs voiles !

 

Deux réflexions personnelles

J’aimerais ajouter ici deux réflexions qui m’ont accompagné en arrière-fond durant toute cette recherche, et qui ne sont pas sans lien avec la thématique:

 

Qui sont les « évangéliques » ?

J’ai dit en introduction que je n’aimais pas cette étiquette qu’on colle facilement à un certain nombre de nos fidèles. J’y ressens surtout de la méfiance ou de la crainte « qu’ils n’envahissent nos communautés », ce qui n’est guère « évangélique » justement ! Je n’appartiens pas à cette sensibilité ecclésiale, mais elle a tout mon respect, comme toutes les autres d’ailleurs (liturgique, sociale, libérale, etc…), et il faut apprendre à la connaître. Pour cela il est utile de lire la notice de la p. 40 du Manifeste bleu déjà cité.

Ce que je constate (et ai vécu en remplacement dans deux paroisses ces dernières années), c’est que nous avons un certain nombre de fidèles qui ont eu un bout de parcours spirituel dans une assemblée évangélique, ou qui se reconnaissant dans ce courant. Mais s’ils sont dans notre Eglise, c’est par choix, justement parce qu’elle leur convient du point de vue théologique et ecclésiologique. Certains sont venus chez nous après une déception dans leur communauté d’origine, d’autres pour recevoir un enseignement biblique plus solide, d’autres par lien de famille… mais ils sont attachés à nos convictions et formes d’Eglise. Ce sont de vrais réformés.

En plus ils sont un fort sentiment d’appartenance communautaire et un engagement solide dans nos paroisses, ils sont donc à compter parmi nos fidèles les plus engagés. Dans un temps où le nombre de fidèles parfois se raréfie, ce n’est pas à négliger, sans compter l’aspect de générosité financière. Il ne m’étonnerait pas d’ailleurs qu’ils soient de plus en plus nombreux ces prochaines années dans nos instances synodales. Avec eux nous pouvons bâtir une Eglise théologiquement  réformée et ecclésialement professante.

J’ai retrouvé dans ma bibliothèque (et relu avec intérêt) un ouvrage de 1977 du théologien allemand Jürgen Moltmann, intitulé  « Un nouveau style de vie, le renouveau de la communauté». Dans son dernier chapitre il dit ceci : « l’avenir de la Réforme repose … sur son aile gauche, … celle dont sont issues les communautés libres dans le protestantisme. C’est là que se situe la terre encore largement inconnue et inhabitée de la communauté ».

 

L’héritage de l’Eglise libre vaudoise

Dans le même temps où je menais cette réflexion, nous avons fêté le 50ème anniversaire de la fusion des Eglises nationale et libre du canton de Vaud. J’ai assisté avec intérêt à la soirée officielle du 15 mars et lu avec bonheur le livre du professeur JP. Bastian.

Ce qui m’a frappé dans l’histoire de l’Eglise libre vaudoise, c’est qu’elle a été, pendant plus de 120 ans à la fois une Eglise réformée multitudiniste et une Eglise professante missionnaire, tout en étant fortement engagée sur le plan social, éducatif et sanitaire du canton de Vaud. Son arrière-fond spirituel et ecclésial était bien le Réveil du début du 19ème siècle, mais sa théologie est toujours restée clairement réformée, alors que sur le plan de l’ecclésiologie, elle se définissait elle-même comme un « faisceau d’églises ».

L’engagement personnel et financier était impressionnant : le nombre de membres adultes inscrits n’a jamais atteint 6000 personnes, mais celles-ci finançaient non seulement les paroisses et les pasteurs, mais encore leur faculté de théologie (la « Môme ») et la mission (l’ancêtre du DM). Certes il y avait de grandes familles fortunées, et le revers de la médaille était l’emprise de ces dynasties sur la vie de l’Eglise…

Quant à la Faculté de théologie, elle était d’un niveau académique égal à celui de la Faculté nationale, de nature résolument réformée, mais se voulait en même temps une école pastorale, avec une vie spirituelle de faculté incluant étudiants et professeurs. Aujourd’hui on peut toujours rêver !

Je cite ici JP. Bastian dans sa conclusion : « Alors que l’Eglise  réformée territoriale est en train de s’éroder, son avenir est à la minorité professante de culture multitudiniste. Aujourd’hui l’option libriste se présente d’une étonnante actualité pour la réflexion de ceux qui ne désirent tomber ni dans la secte et le fondamentalisme, ni se dissoudre dans l’apathie ».

 

Conclusion

J’ai commencé en posant la question « où sont la confiance et l’espérance » ? Je conclus en disant : arrêtons avec les cris d’alarme et bâtissons l’avenir avec notre foi en la grâce de celui qui nous a réunis en Eglise. Avançons avec légèreté et persévérance. Ne commençons pas par fermer, diminuer, supprimer… mais inventons et réinvestissons. L’avenir de l’EERV est dans un renouveau spirituel, pas dans une énième réorganisation structurelle. Soyons fiers de notre Seigneur, de notre foi et de notre Eglise.

 

Etienne Roulet, Vaulion le 24 mai 2016.

« Qualité de vie et avenir de l’EERV »
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