Andreas est spécialiste de droit économique dans le domaine judiciaire et son épouse Friederike Matter-Tanski est cheffe de clinique spécialisée en médecine interne et en cardiologie. Ils se partagent entre la Suisse romande (Riex/VD) et la Suisse alémanique (Heiligenschwendi/BE), en raison de leurs  lieux de travail différents, ce qui leur donne une perspective plus large sur la presse réformée en Suisse. Ils nous offrent ici leur analyse de la situation.

Remarques liminaires sur les réflexions qui suivent

Le livre «L’islam con­qué­rant» de Shafique Keshavjee a donné lieu, de la part de certains mi­lieux de l’Eglise réformée et de quelques experts universitaires des faits religieux (philo­so­phes ou so­cio­lo­gues des religions, théologiens, etc.) à ce que M. le Professeur Daniel Mar­­guerat a appelé à juste tit­re un véritable « lynchage organisé ».

Cette situation nous a amenés à formuler deux sortes de réflexions, que le Comité du R3 a été d’accord de reproduire sur ce site. 

** D’une part, à un niveau assez spécifique, nos réflexions se rapportent à un ar­tic­le qui a paru dans le périodique «Réformés» concernant le livre et qui laisse tout simplement perplexe. Cette con­tri­bu­tion est placée, ailleurs sur ce site, sous le titre : «C’est toujours problématique de faire pire que ce que l’on reproche à autrui…»

** D’autre part, l’affaire autour du livre éclaire, à un niveau plus large, certaines évolutions à l’in­ter­ne ou en marge des institutions du monde réformé. Si le Comité du R3 s’est montré prêt à nous accorder de l’es­pa­­ce pour exprimer ce type de réflexions plus amples, ce qui suit ici n’engage que notre res­pon­sabilité à nous, pas celle du R3 dont nous ne som­mes d’ailleurs pas mem­bres. Plu­sieurs points particuliers peuvent prêter à controverse, au sein du R3 et au-delà. Les quelques pa­ges à venir reflètent la manière de voir d’un couple de «pendulaires» entre la Suisse romande et la Suisse alémanique par rapport à deux types de réalités ecclésiastiques dans l’Eglise réformée et à deux jour­naux d’église.

«reformiert» entre une Eglise des « sans foi » et le retour subit d’un fils pro­di­gue 

Depuis bientôt vingt ans, nous nous situons entre la Suisse romande et la Suisse alémanique, en raison de nos lieux de travail différents. Comme si c’était hier, nous nous sou­ve­nons du choc, de la perplexité voire de la honte que nous avons ressentis quand, pour la première fois, nous avons tenu en main et lu attentivement un exemplaire de «saemann» (se­meur), le jour­nal de l’Eglise ré­for­mée bernoise, qui paraît dix fois par année et est diffusé tous mé­na­ges.

«C’est par des gens comme cela et de cette façon-là que l’on parle au nom de notre Eg­li­se?» Cette question initiale est restée intacte après presque deux décennies de lecture attentive du journal et alors qu’il a été renommé «reformiert» il y a quelques années. 

Mais pour­quoi, si ce n’est par masochisme, s’infliger pendant presque 20 ans la lec­ture at­ten­tive d’un journal dans lequel on ne se retrouve ni de près ni de loin? La ré­pon­se est simple: C’est peut-être assez systématiquement contestable et fort peu attrayant, mais c’est quand-même pertinent et significatif en ce sens que cela reflète de manière fiable et précise les directions dans lesquelles dérive un certain protestantisme post-croyant qui s’est largement défait de ses attaches dans un christianisme biblique traditionnel.

On veut atteindre les «distanciés de l’Eglise», mais surtout pas ceux et celles que certains rail­lent comme les «clients potentiels habituels de Jésus», qui, dans une situation de crise ou de dé­tresse, auraient besoin d’une béquille ou d’une planche de salut. Tout au contraire de cela, sont visé-e-s les intellectuel-le-s dans la pleine force de l’âge et au sommet de leur esprit cri­ti­que, surtout les élites culturelles. Tous ces gens, on espère pouvoir les at­ti­rer par le mes­sage – plus ou moins explicite – suivant: «Vous rejetez le christianisme et toutes ses cro­yan­ces tra­di­tion­nelles? Qu’à cela ne tienne, nous n’y croyons pas non plus, et depuis des lustres…»

Si l’on veut atteindre les distanciés du christianisme, la distribution tous ménages fait sens. Mais la question es­sentielle est de savoir si les journalistes et théologiens de «re­for­miert» parviennent effec­tive­ment, avec le genre de discours déployés, à attirer les «sans foi» ou s’ils n’ont pas plutôt ten­dance à se bercer d’illusions, en ne pouvant ou en ne voulant pas voir que presque tout le mon­de jet­te le journal sans autre forme de procès ou alors tout au plus après un survol sommaire.

Au milieu de tant d’incertitudes voire d’insuccès au niveau de son impact réel, «reformiert» a su­bi­te­­ment pu proclamer le retour d’un fils prodigue dans le giron de l’Eglise ré­for­­mée, et pas des moindres, puisqu’il s’agit d’Adolf Muschg, un des tout grands parmi les éc­ri­vains et les intellectuels de la Suisse alé­ma­nique voire de l’ensemble des pays de langue al­le­mande. Avec une délectation à peine dissimulée, «reformiert» rapporte comment Muschg est re­de­ve­nu mem­­­bre de l’Eglise ré­for­mée après en avoir été éloigné durant plus d’un demi-siècle. Et une pho­to im­pressionnante le mon­tre en train de prêcher dans la grande cathédrale (Grossmünster) de Zurich ar­chi-­comble pour l’oc­casion. 

Il y a juste un hic à la chose. Il suffit de relire la prédication qu’il a prononcée à cette oc­ca­sion pour se rendre compte que Muschg est bien trop intelligent et trop lucide pour se laisser em­bri­gader dans ce gen­re de schéma de propagande charpenté de manière quelque peu sim­plis­te. Deux de ses réflexions méritent d’être re­­levées ici:

** Il souligne le grand vide religieux propre à notre début de 21e siècle. En face et à l’en­con­tre de ce vide, l’Eglise réformée représente selon lui un « programme minoritaire » qui se doit d’êt­re soutenu.

** Puis, au beau milieu d’une analyse du texte de Jn 10 sur le bon et les mauvais ber­gers, il pro­non­ce cette phrase-choc: «Si je suis redevenu membre de l’Eglise pro­tes­tante, c’est parce que cette Eglise est aussi éloignée de croire en son propre message que je le suis moi.»

Que l’on soit extérieur par rapport à une Eglise qui croit ou revenu à l’intérieur d’une Eglise qui ne croit plus, où est la différence ? 

« Réformés» se met également au diapason du 21e siècle

Depuis bientôt deux décennies, nous suivons aussi, en Suisse romande, les destinées de «Bon­ne nouvelle», le journal de l’Eglise réformée, renommé «Réformés» il y a quelque temps. Ce chan­ge­ment de nom est révélateur de bien des choses. 

Très long­temps, on avait tenu en main un journal d’Eglise attachant, avec lequel on ne devait pas forcément être d’ac­cord en tous points et articles, mais qui reflétait une pluralité réelle des points de vue et des doctrines, tout en faisant preuve, fois après fois, d’un attachement profond au bien-être de notre Eglise. 

Or, depuis deux ou trois ans au plus tard, et encore bien plus ma­ni­fes­te­ment depuis la mi­se en pla­ce d’une nouvelle équipe dirigeante, cette pluralité s’est appauvrie. C’est une idéo­logisation lourde et unilatérale qui s’est emparée du périodique, du moins dans ses parties générales, en de­hors des comptes-rendus re­latifs aux régions et aux pa­roisses particulières.

Ces parties générales reflètent – peut-être pas exclusivement, mais dans une large mesure – quel­que chose qui va jusqu’à se rapprocher … du grand vide religieux dont parle Muschg. Les thé­ma­tiques ne se situent plus que rarement «dans la dimension verticale», c’est-à-dire celle qui aurait trait à Dieu (y compris dans la relation avec les croyants, pris individuellement ou col­lec­ti­ve­ment). Les sujets couverts tendent à se réduire à des questions de «valeurs» et d’ «engagements», à tout ce qu’il faut fai­re ou éviter, dans telle ou telle optique. 

Et les injonctions éthiques ou mo­ra­les dis­cu­tées pro­vien­nent, pour la plupart, en droite ligne «du monde» extérieur à l’Eglise, du «sièc­le pré­sent». En grande partie, c’est du politiquement correct pour reprendre, en intensité variable, le mê­me gen­re de dis­cours que ceux qu’on trouve chez des femmes socialistes ou de jeunes ac­ti­vistes du cli­mat, de l’environnement, des animaux, ou de toutes sortes de causes minoritaires. 

Qu’est-ce que de tels discours ont de chrétien? Pas nécessairement quoi que ce soit ou alors seu­le­ment au prix de lourds travaux préalables de trans­­formation langagière pour donner un semblant de vo­ca­bu­­laire d’Eglise à quel­que chose qui en est, dans la réalité, pas­sab­le­ment éloigné. Ce qui frap­pe aussi, c’est que de nom­breux «ex­perts» sur lesquels on aime à s’ap­pu­yer dans tous ces ar­ticles ont en fait des «valeurs» voire des idéologies assez rigoureusement étran­gè­res voire hostiles à des con­­si­dé­ra­tions ecclé­sias­ti­ques ou simplement «religieuses».

Ce sont exactement les mêmes mé­ca­nis­mes qui affectent d’ailleurs de plus en plus l’émis­sion de télévision «Faut pas croire».

«reformiert » et l’étrange saga de la pasteure athéiste de Muri-Gümligen

Tout le monde se souvient du néerlandais Klaas Hendrikse, pasteur et néanmoins athéiste con­fes­sant. Plus près de chez nous, la paroisse protestante de Muri-Gümligen, dans l’agglo­mé­ration de Berne, a engagé Ella de Groot, elle aussi hollandaise et pasteure ouvertement athéiste. «re­for­miert» a dûment re­la­té l’évé­ne­ment de cet engagement, nullement pour s’en in­dig­ner, mais plutôt pour s’éton­ner que l’on puisse s’en émouvoir.

A première vue, il y a là une absurdité tout juste féroce. Quel club de golf en­gage­rait comme mo­ni­teur un gaillard qui professe avoir horreur de ce sport et exige de pouvoir ini­tier les mem­bres aux arts martiaux mix­tes? Ou voilà une entreprise d’informatique qui cherche un analyste sys­tè­me et que l’on contraindrait à employer un candidat qui veut utiliser ce poste comme cou­verture pour hacker et saboter les systèmes d’exploitation d’un maximum de so­cié­tés clientes parce qu’il dé­tes­te l’économie capitaliste… Où d’autre que dans l’Eg­li­se ré­for­mée on tolèrerait et même en­co­u­ra­gerait ce genre d’ab­sur­dité en la défendant bec et ong­les avec toutes sortes d’ar­gu­ments à haute teneur morale?

Ce qui est révélateur, d’une part, c’est la raison pour laquelle l’Eglise ré­for­mée ne pourrait plus (et en l’occurrence n’a même pas cherché à) s’opposer à un tel engagement, tout incongru qu’il doive paraître au niveau du simple bon sens: en tant qu’institution liée à l’Etat, l’Eglise ne saurait se sous­­traire à la force péremptoire des impératifs de non-dis­cri­mi­nation et de liberté religieuse, ici au profit de la pasteure. C’est de cette façon précise, entre aut­res, que l’Eg­li­se réformée est mise au diapason de «valeurs actuelles» qui lui sont en fait pro­fon­dé­­ment étran­gères voire hostiles… 

D’autre part, cela vaut aussi la peine de jeter un regard sur la perspective de la pasteure. Elle incarne, au-delà de l’absurdité mentionnée, un mystère profond et une évolution majeure. Jus­qu’à ré­cem­ment, la très grande majorité de ceux et celles qui perdaient la foi tournaient leurs talons et s’en allaient loin de toute Eglise pour ne jamais y revenir. Or là, mystère, voilà une dame qui croit que, toute in­cro­­yante qu’elle se revendique, sa place serait quand même celle de veiller au bien-être du troupeau des fidèles. Cette conviction d’être parfaitement à sa place dans une in­sti­tu­tion dont elle méprise bien des croyances jusque-là centrales, se re­trou­ve maintenant chez des théologiens post-croyants de plus en plus nombreux.

Pour l’essentiel, Ella de Groot avance deux arguments en faveur de sa po­si­tion, qui sont d’ail­leurs très similaires à ceux de Klaas Hendrikse :

** D’un côté, elle fait valoir qu’elle a peut-être juste le tort d’être honnête, contrairement à un grand nombre de ses collègues (aspirants) pasteurs, qui ne croient plus (grand-chose) non plus, mais drapent leur incroyance dans un brouillard linguistique suffisant pour que leurs pa­rois­siens ne s’en aperçoivent pas.

** De l’autre, la pasteure relève que son offre rencontre bel et bien une demande et que ses cul­tes ne sont en tout cas pas moins fréquentés que ceux de tant de ses collègues. On revient à la ques­tion posée par le «retour du fils prodigue» Adolf Muschg: Que l’on soit extérieur à une Eglise qui croit ou (re)venu à l’intérieur d’une Eglise qui ne croit plus, où est la différence?  

 

«Réformés» et l’entrée dans l’Eglise réformée de théologiens «post-croyants et  anti-cléricaux»

Récemment, même les médias séculiers de Suisse romande ont été le théâtre de débats passionnés sur le point de savoir si les facultés de théologie de nos universités sont en fait des sites de fab­ri­cation à la chaîne d’athéistes invétérés. Dans le même ordre d’idées, la question a été soulevée si ou jus­qu’à quel point de tels théologiens post-croyants font revivre le vieux cliché relatif aux so­cia­lis­tes et aux com­mu­nis­tes comme quoi ils seraient tous «mécréants et anti-cléricaux».

Certains de ces théologiens restent dans le cadre de leurs facultés. D’autres vien­nent dans l’Eg­lise ré­formée (en tant que pasteurs et dans toutes sortes d’autres fonctions), ainsi que dans des in­sti­tu­tions proches (maisons d’édition de livres, musées, centres culturels, etc.). Dans les deux grou­pes, il y a sans conteste un nombre certain de théo­lo­giens pour qui une confession de foi tra­di­tion­nelle (du type du Symbole des apôtres ou du Crédo de Nicée-Constantinople) n’est plus qu’une plai­san­terie de mauvais goût et l’essentiel des Evan­gi­les un tissu de mythes et de légendes. 

Loin de nous l’idée que l’Eglise réformée n’ait que des pasteurs qui ne croient plus (grand-cho­se). Qui nous connaît sait en particulier à quel point un bon culte et une pré­dication profonde peuvent nous rendre heureux et reconnaissants. Mais, à côté de ces pas­teur-e-s-là, il y a tous ces autres théologiens, pasteurs ou non, hors de l’Eglise ou dedans sans vraiment (vouloir) y être… 

 

Si l’on souligne ces points, on suscite assez rapidement de l’incompréhension et même de l’in­dig­nation, jus­­­que chez des pasteurs et des laïcs de l’Eglise réformée dont nul ne saurait douter qu’ils se ral­lient encore à une confession de foi traditionnelle. De quel droit se permet-on de porter un verdict, qui doit revenir à Dieu seul, sur les croyances ou la prétendue absence de foi d’autrui?   

L’argument, là encore, est d’une haute teneur morale. C’est un paravent derrière lequel se si­tue, à l’abri de toute critique légitime ou même envisageable, une des zones les plus im­portan­tes de transformation de l’Eglise réformée, et pas forcément pour son bien.

Nul ne doute que notre Eglise, à la suite du Jésus des Evangiles, est appelée à accueillir tous ceux qui veulent y venir, sans rejeter ou condamner qui que ce soit, surtout parmi «les plus pe­tits d’entre vous». Ce qui est ou devrait pouvoir être en débat ici, c’est bien autre chose. 

**On parle de théologiens qui, de leur côté, ne se gênent pas de porter les ju­ge­ments les plus durs, que ce soit sur les textes bib­­­­liques ou sur d’autres manières de croire que la leur, toutes peu «pertinentes» selon eux: fon­da­men­talistes, rétrogrades, moyen-âgeuses, anté-di­lu­viennes, etc.

** De plus, ce n’est nullement la foi individuelle de ces théologiens en tant que per­son­nes qui est en jeu, mais la double question suivante: Qu’est-ce qui fait que nombre de théologiens veulent en­trer, pour contribuer à la mener, dans une Eglise dont ils rejettent pourtant bien des cro­yances jus­que-là centrales? Et: où va notre Eglise, à partir du moment qu’elle est con­dui­te par ce gen­re de théo­lo­­giens?

Deux journaux d’Eglise et une commune « mission à l’envers « …

Dans son livre « What’s so great about Christianity », le politologue américain Dinesh D’Souza se liv­re à ce raccourci saisissant: La théologie académique (ultra-)libérale, c’est de la «mission à l’en­vers»; au lieu de porter le christianisme et la Bible dans le monde, on importe «le mon­de» à l’intérieur du christianisme, au détriment de la Bible. Le raccourci est peut-être trop ab­so­lu en ces termes généraux, mais il reflète assez bien la situation particulière de «reformiert» et de «Ré­for­més», ainsi que de cer­tai­nes sphères dirigeantes de l’Eglise réformée depuis quel­que temps.  

Comme il a été dit plus haut, les deux périodiques reflètent la mar­gi­na­li­sa­tion (quelquefois l’éli­­­mination pure et simple) de la «dimension verticale» qui va de pair avec la reprise de «valeurs » et d’im­pé­ra­tifs moraux extérieurs, étrangers voire hostiles. Partout où de telles évolutions ont lieu, l’Eglise réformée et ses journaux ne représentent plus ce «programme de minorité contre le vide re­li­gieux» dont parle Adolf Muschg, mais succombent devant ce vide et vont jusqu’à importer au sein de l’institution l’hostilité gé­néralisée à l’encontre des Eglises et du christianisme qui prévaut dans la société.

Dans un tel contexte, il devient plus compréhensible que nombre de théologiens post-croyants (voi­­re ouvertement athéistes) ne cherchent plus à se tenir éloignés de l’Eglise réformée, mais res­­sentent un devoir moral (autant qu’intellectuel) de l’investir pour la «missionner à l’envers», et la «réformer» de l’intérieur, en fonction de l’esprit du temps. Vu depuis cette optique, le pas­teur n’a plus beaucoup en commun avec la vieille image du bon berger qui veillerait sur le bien-être de son troupeau de fidèles. Au lieu de cela, c’est un influenceur et un «disrupteur», lanceur d’alerte (un peu) et leader-activiste (beaucoup) qui ouvre les yeux de ses suiveurs sur toutes les zones d’om­bre propres aux façons traditionnelles et fondamentalistes de croire, puis les conduit de l’ob­scu­ran­tis­me vers des valeurs et des engagements enfin au diapason de not­re temps.

 

Dans ce nouvel ordre, « reformiert » et «Réformés» montrent, loin à la ronde et pour l’ensemble de l’Eglise (y.c. le Synode et le Conseil synodal), où se situent désormais les frontières du pos­sible et du licite et quels sont les «don’ts » et les « no-go » propres aux anciennes manières de croire et de s’engager. A ce titre, ces pé­riodiques pourvoient régulièrement de nouvelles thé­ma­tiques «disruptives».  De plus, ils font entrer dans les sphères de réflexion propres à l’Eglise, et à titre d’experts, les théologiens des facultés uni­­versitaires, notamment de ceux qui sont  post-croyants et anti-clé­ri­caux.

Ces théologiens sont appelés à donner leurs jugements sur les textes bibliques en lien avec les thématiques discutées. Ils le font généralement en mal puisque les textes sont dits être (plus ou moins) racistes, sexistes, violents, obscurantistes ou autrement pré-rationnels. Plus rare­ment, on emprunte le chemin inverse et instrumentalise des passages isolés et reformatés des Ecri­tu­res au profit des activismes en vogue: la fuite de la «sainte famille» en Egypte prouverait que nous som­mes  tous des réfugiés; quant au «plus ni homme ni femme, car vous êtes tous un en Jésus-Christ» de Gal 3,28, il est «abracadabré» au point de lui faire dire que là se trou­verait le berceau d’une justice enfin rendue à tous les sexes et genres. En dehors de ces deux ex­trêmes? Peut-être pas grand-chose…

Mais où est le lien avec le «lynchage organisé» du livre «L’islam conquérant»?

Ce qui précède permet de mieux cerner un certain nombre d’enjeux stratégiques et de batailles discursives autour de ce que les Alémaniques appellent «Deutungshoheit», litté­ra­le­ment la «sou­veraineté en matière d’interprétation» par rapport à un phénomène donné. Plus pro­saï­que­ment, il s’agit du pouvoir de dicter aux autres comment ils doivent voir et com­prendre les choses.

L’affaire du livre de Shafique Keshavjee a montré, peut-être plus clairement que d’autres épisodes récents, comment la vi­sion propre à un certain de nombre de théologiens post-croyants et anti-cléricaux actifs dans ou ve­nant des facultés de théologie a été non seulement répercutée et amplifiée par «Ré­for­més», mais – entre autres à partir de ce journal – tend à s’imposer aux sphères dirigeantes de l’Eg­lise réformée (notamment le Synode et le Conseil synodal). 

** Ces sphères dirigeantes vont-elles (continuer à) ne voir la question de l’islam que sous l’angle réduit – voulu par ces quelques théologiens et autres universitaires – du politiquement correct et d’une religion minoritaire discriminée? 

** Vont-elles, conformément aux pressions d’une «mission à l’envers», se croire obligées de se distancer de toute apparence d’une «Eglise à l’ancienne », prétendument obscurantiste et rétro­gra­de, lorsqu’elle s’attacherait à défendre ses propres intérêts et ceux du christianisme?

Ces questions n’impliquent pas la moindre hostilité contre l’islam ou les musulmans, pas plus que l’on en trouverait dans le livre de Shafique Keshavjee. La nécessité de soulever ces ques­tions mon­tre à quel point il est devenu compliqué, même au sein de l’Eglise réformée, d’échap­per à une décrédibilisation globale et sommaire de toutes critiques de l’islam, même de celles qui sont nu­an­cées et légitimes face à des problèmes spécifiques bien réels et concrets posés par certaines ma­nières de vivre cette religion.   


En guise de conclusion: peut-on vraiment savoir où va notre Eglise en ce début de 21
e siècle?

Tout ce qui précède tient essentiellement en deux points:

** Ce qui est exprimé, d’une part, c’est une certaine lecture des journaux d’Eglise «reformiert» et «Réformés»;

** D’autre part, il est dit que ces journaux non seulement reflètent, mais influencent – et pas de peu seulement – les décisions et orientations prises par les sphères dirigeantes de notre Eglise, no­tam­ment le Synode et le Conseil synodal.

Face à cela, une contre-argumentation implique assez naturellement les mêmes deux facettes:

** D’un côté, certains vont dire que notre vision de ces périodiques est contestable et ten­dan­ci­eu­se, en tout cas purement subjective et individuelle.

** De l’autre, il va certainement être dit qu’il ne faut quand même pas surestimer le pouvoir et l’influence d’un journal d’Eglise; la « vraie vie » de notre Eglise serait ailleurs et irait dans des di­rections tout autres que ce qui est décrit plus haut.

Peut-être. C’est ce dont il serait intéressant de pouvoir débattre.

Il y a un dernier point à soumettre à cette discussion nécessaire. C’est le jugement – à notre sens hau­tement significatif et lourd d’implications – émis par un représentant d’une des sphè­res di­ri­gean­tes face à ce que l’on pourrait appeler la tendance confessante au sein de notre Eglise: «Vous êtes des intolérants. Et dans notre Eglise tolérante, il n’y pas de place pour les in­to­lé­rants.»

Ce qui rend une telle déclaration si révélatrice et lui donne toute son importance, c’est qu’elle ex­pri­me en un raccourci saisissant où va une Eglise dominée par le politiquement correct et la «mis­sion à l’envers». Ceux qui sont décriés comme des traditionalistes et des fondamentalistes risquent de se bercer d’illusions s’ils croient qu’on leur accordera encore longtemps le pouvoir de contester et de déplorer les directions que prend «leur Eglise». Là où le réveil risque d’être brutal, c’est quand ils verront qu’ils sont encore tout au plus tolérés dans une Eglise post-cro­yante «mis­sion­née à l’envers», et seulement pour autant qu’ils se cantonnent dans leurs pa­rois­ses, elles-mêmes méprisées comme les derniers refuges d’un tra­di­tio­n­nalisme ap­pelé à dis­paraître.

 

En face de telles éventualités, il y a tout ce qu’il est peut-être possible de faire pour mettre cette Eglise au diapason du présent et de l’avenir de Jésus-Christ. En dépit de toutes les apparences con­traires, c’est Lui le Seigneur de notre Eglise. Il est vivant, Il est vraiment ressuscité en ce début de 21e siècle. Et Il viendra et reviendra vers Son Eglise, non pas depuis un quelconque pas­sé, mais dans et depuis ce qui est encore à venir.

Comment l’Eglise réformée s’est mise au diapason du 21e siècle et ce que cela implique
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