Le « Manifeste bleu » du R3 appelle les Eglises à considérer la prise de décision par consensus. Mais qu’est-ce le consensus? L’article de Martin Hoegger – « Le modèle du consensus : un changement institutionnel significatif ! » – examine comment ce modèle de prise de décision a été introduit dans le Conseil oecuménique, suite à l’expérience de quelques Eglises réformées et comment il interpelle toutes les Eglises. Il en explicite ses bases théologiques et sa théorie et pratique.

 

consensus-coe

Prise de décision par consensus lors d’une rencontre du COE

 

Le modèle du consensus : un changement institutionnel significatif 

La réflexion et l’expérience proposées par le Conseil oecuménique des Eglises (COE) sur le consensus sont pratiques et théologiques. Elles proviennent de situations de crise qui ont secoué cette institution, en particulier la crise avec les Eglises orthodoxes, il y a une quinzaine d’années, quand celles-ci menaçaient de la quitter.

         Ma contribution se limitera à ces aspects et n’abordera pas toutes les dimensions philosophiques et politiques de la notion de consensus. Le modèle du consensus introduit un changement significatif dans la vie institutionnelle du COE. Il interpelle maintenant toutes les Eglises. Cette nouveauté, décidée en 2005, a été mise en pratique lors de toutes les réunions du COE, que ce soient dans le cadre des comités exécutifs, des comités centraux ou encore des Assemblées, celles de Porto Allegre et de Busan auxquelles j’ai participé.

 

  1. D’où vient le modèle du consensus adopté par le COE?

 

Majoritaires parmi les membres fondateurs du COE, les Eglises protestantes avaient introduit leur manière de prendre des décisions, marquée par l’influence du parlementarisme politique. Dans l’esprit des gens, un synode protestant est en effet assimilé à un parlement, où les décisions sont prises par un vote majoritaire. Ainsi en allait-il également dans les diverses assemblées du COE.

Mais avec l’élargissement du COE aux différentes Eglises orthodoxes dans les années 60 et aux Eglises du Sud, de plus en plus de voix s’élevèrent à l’encontre de cette procédure, qui est étrangère à la manière de faire de beaucoup d’Eglises. En effet, il est difficile de demander à des orthodoxes de voter sur des questions théologiques et éthiques, et les nouvelles Eglises du Sud ont une culture plus proche du consensus que de la méthode parlementaire.

L’introduction de cette méthode est un fruit du travail de la commission spéciale réunissant les orthodoxes et les autres Eglises du COE. Commission qui a été mise sur place pour répondre à la crise de la participation orthodoxe, qui menaçait de quitter le COE lors de la dernière assemblée du COE à Harare en 1998. « Elle est la réussite la plus importante de la Commission spéciale », a dit le président du COE à Porto Alegre.

D’autre part, quelques Eglises protestantes ont introduit la démarche par consensus telles l’Eglise unie du Canada et l’Eglise en cours d’union d’Australie. Cette seconde Eglise, née d’une union de trois Eglises en 1977, se trouvait de plus en plus en porte-à-faux avec l’ancienne méthode. La participation accrue de jeunes et de personnes indigènes (aborigènes) – pour qui la démarche consensuelle fait partie de leur culture – conduisit à introduire progressivement – en l’espace de trois ans – cette nouvelle méthode.[1] Ce sont ces Eglises réformées qui ont partagé conseils, expériences et experts pour aider le COE à marcher sur une voie nouvelle.

Certaines communautés ont une expérience encore beaucoup plus ancienne. Ainsi les Quakers la pratiquent depuis 300 ans. Eden Grace, une membre de la Société religieuse des Amis, dit « Nous n’accumulons pas davantage de positions pour ou contre. Nous travaillons pour avoir une pensée commune, nous cherchons la pensée du Christ ». Cette méthode a aussi des résonances profondes avec la culture traditionnelle africaine, où la communauté joue un si grand rôle. En occident nous sommes influencés par l’individualisme: « Je pense donc je suis« . Une des conséquences est qu’on se considère d’abord comme individu. Par contraste la notion africaine d’ubuntu met l’accent sur la communauté: « Je suis une personne à travers les autres personnes« , dit un proverbe africain. Le Descartes africain dirait donc : « Je suis parce que nous sommes ».

D’autre part, depuis bien des années, la manière de travailler de Foi et Constitution est consensuelle, car on ne produit pas un texte sur l’ecclésiologie en votant de manière majoritaire. Les divers textes sur l’ecclésiologie présentés aux Assemblées de Porto Allegre (2006) et de Busan (2013) –  « Appelés à être Eglise une » et « Vers une vision commune de l’Eglise » – sont un fruit du consensus et constituent un modèle pour chercher le consensus sur d’autres points.

 

 

2. Une culture ecclésiale

 

Selon l’expérience des Eglises qui l’ont adoptée, le passage à cette méthode a pris du temps. C’est un changement de culture et de pensée, pas une simple méthode à appliquer, ni un truc. Elle nécessite donc un processus d’apprentissage et d’appropriation. Elle a un aspect à la fois intellectuel et pratique. Comme on apprend à conduire une voiture en conduisant, on apprend le consensus en le pratiquant. « Learning by doing »

Le consensus est une culture ecclésiale basée sur la conviction que nous avons à chercher la volonté de Dieu et à nous laisser conduire par l’Esprit saint, en écoutant la Parole de Dieu et les uns les autres « Chacun doit donc être prompt à écouter, mais lent à parler… » (Jacques 1,19).

Un document du COE voit six aspects à cette culture : Il s’agit (i) de chercher la volonté de Dieu, (ii) d’être disponible à l’Esprit saint, (iii) de confesser la seigneurie et la divinité du Christ, base spirituelle du COE, (iv) de reconnaître que chacun a reçu des dons de l’Esprit saint, (v) d’écouter ensemble la Parole de Dieu et enfin (vi) de vivre et d’approfondir notre communion fraternelle.

La recherche du consensus présuppose de vivre durant un conseil ou une assemblée tous ces aspects essentiels de l’expérience chrétienne et ecclésiale. Il implique davantage les personnes. Celles-ci sont invitées, dans un esprit de prière et de conversion, à approfondir leur conscience d’être membres du Corps du Christ. On le voit : c’est bien plus qu’une méthode. C’est une manière de vivre l’Eglise par laquelle s’établit un climat de confiance entre personnes, favorable à une prise de décision selon la volonté du Christ. Alors que le débat parlementaire crée une atmosphère de « pour ou contre« , ce modèle suscite une écoute et une pensée coopérante.

 

 

3. La base théologique: la métaphore du Corps.

 

Quelles sont les racines spirituelles du consensus? Parmi toutes les motivations, celle qui fait appel à l’ecclésiologie est la plus fréquente. Le consensus est un modèle qui correspond mieux à la nature profonde de l’Eglise qui est d’être une communauté de foi, à l’image de la communion trinitaire. Ses membres appartiennent au Corps du Christ et ont reçu des dons du S. Esprit. Ils cherchent à approfondir leur communion et considèrent que toutes les parties du Corps sont importantes. Un texte revient régulièrement pour fonder théologiquement le consensus, celui de 1 Cor. 12 avec la métaphore du Corps du Christ, dont les membres ont besoin les uns des autres. Le consensus veut prendre au sérieux cette image : un corps qui fonctionne bien intègre les apports de tous ses membres. Le consensus favorise la coopération plutôt que le débat contradictoire, la soumission réciproque plutôt que d’essayer d’emporter le morceau. Il prend au sérieux l’expression de la diversité, qui est constitutive de l’unité de l’Eglise; il reconnaît les racines christologique et trinitaire de l’Eglise.

Un des rares documents adoptés par l’Assemblée de Porto Alegre est une belle déclaration sur l’ecclésiologie, qui affirme l’unité et la diversité de l’Eglise:

« La Sainte Ecriture nous présente la communauté chrétienne comme le corps du Christ dont la diversité et l’interdépendance des membres sont essentielles à son intégrité. (1 Co 12,4-7) Ainsi, en tant qu’elle est peuple de Dieu, corps du Christ et temple de l’Esprit Saint, l’Eglise est appelée à manifester son unicité dans la riche diversité. »

 

Au sujet de la diversité, ce document appelle à la fois à la valoriser, mais aussi au discernement, en distinguant la diversité voulue par Dieu, des différences nées du péché. Le consensus ne signifie donc pas accepter toutes les opinions:

« Certaines … différences sont des expressions de la grâce et de la bonté de Dieu : il s’agit de les discerner dans la grâce de Dieu, avec l’aide de l’Esprit Saint. D’autres différences divisent l’Eglise; il s’agit de les surmonter par les dons de l’Esprit que sont la foi, l’espérance et l’amour, de façon que la séparation et l’exclusion n’aient pas le dernier mot. Le dessein de Dieu est de « mener les temps à l’accomplissement, réunir l’univers entier sous un seul chef » (Ep 1,10), en réconciliant les divisions entre les êtres humains ».[2]

 

4. Un modèle pour la communauté chrétienne

 

Georges Lemopoulos, secrétaire général adjoint du COE et orthodoxe, a accompagné le processus de réflexion sur le consensus. Très vite, il a découvert que le consensus n’est pas seulement un souci des orthodoxes, il peut inspirer toutes les communautés chrétiennes : « On a découvert un grand potentiel spirituel. On ne commence pas par la question : comment va-t-on prendre une décision, mais comment va-t-on construire ensemble, dans un même esprit. Ce n’est pas d’abord la décision qui compte, comme dans le modèle de confrontation (pour ou contre), mais la qualité de l’écoute, l’attention à la diversité des voix, aux nuances. En nous ouvrant les uns aux autres, le dialogue devient plus facile et plus constructif ».

Ce modèle ne devrait pas être tout à fait étranger à la tradition réformée, qui insiste sur le fait que l’autorité ne doit pas être localisée dans une personne ou un groupe de personne. Or la démarche par consensus nous conduit à vivre encore plus la diversité, à écouter davantage de voix, en particulier les minorités et celles qui sont hésitantes.          

Le but du consensus est de construire, à partir de la sagesse et du point de vue de chaque personne qui s’exprime, une pensée commune. On veut « chercher l’avis du Christ », « bien comprendre quelle est la volonté du Seigneur » (Eph. 5,17) et cela est un témoignage que les Eglises peuvent donner à notre monde déchiré. Dans cet esprit, Samuel Kobia avait précisé : « Certaines Eglises membres du COE ont déjà eu l’occasion de découvrir dans leur propre vie interne et dans leur témoignage, que prendre des décisions par consensus reflète mieux la nature de l’Eglise, telle que le Nouveau Testament la décrit… D’autres Eglises membres affirment avec force que, dans un monde marqué par tensions, conflits et guerres, le COE peut apporter un témoignage non seulement par ses programmes, mais aussi par sa façon de conduire ses affaires ».[3]

Ce que S. Kobia dit du témoignage donné par le COE peut aussi s’appliquer aux Eglises locales. Toutes peuvent apporter une culture alternative du vivre ensemble.

 

5. Résistances et voix critiques

 

Au début du projet d’introduire la procédure du consensus dans son Eglise, D. Wood se souvient des nombreuses hésitations qui l’habitaient : l’ancienne méthode a fait ses preuves, elle assurait la participation démocratique. La nouvelle méthode est complexe. Est-il possible de l’utiliser dans de grandes assemblées ? « Il a fallu que je découvre que le consensus protège encore plus les droits de chacun et que cette méthode est tout à fait opérationnelle dans de grands synodes ». Aujourd’hui elle est adoptée à tous les niveaux de décision de l’Eglise en cours d’union d’Australie (Réformée), de la paroisse à l’assemblée nationale. « Et le niveau de satisfaction est très élevé ».

Des voix critiques se sont fait aussi entendre à Porto Alegre. Elles craignent en particulier que les questions controversées soient éludées afin de ne pas troubler le consensus. Les questions urgentes ne pourraient plus être traitées. La procédure deviendrait très lourde. Une décision pourrait être bloquée par quelques personnes seulement. La voix prophétique du COE serait limitée uniquement à ce que tous ses membres pourraient dire d’un commun accord. L’évêque luthérienne Margot Kässmann, par exemple, n’est pas convaincue que l’apartheid en Afrique du sud aurait pu être résolu par le consensus. A son avis, dans certaines circonstances la controverse et des votes discordants peuvent aider à prendre une décision. D’autres, comme Eden Grace, une Quaker, estiment qu’au contraire le consensus permettra d’entendre davantage de questions difficiles, car personne n’aura peur d’être sous l’épée de Damoclès du vote majoritaire.

 

6. Les différentes formes de consensus.

 

Mais qu’est-ce le consensus ? D’ordinaire on l’identifie à l’unanimité. Mais ceci n’est qu’un cas parmi d’autres. Une opinion commune ne signifie pas nécessairement qu’il y ait unanimité. Cela peut dire que la plupart soient d’accord et que la minorité accepte qu’on aille de l’avant.

Qu’arrive-t-il quand il y a des difficultés, quand le consensus semble impossible à atteindre sur un thème controversé ? Différentes possibilités sont envisagées : (i) On peut remettre la question à plus tard dans l’assemblée, en confiant à un petit groupe le soin de l’approfondir. (ii) Le président invite à un moment de silence et de prière. (iii) Si une large majorité est d’accord sur une proposition, la minorité peut convenir qu’elle a été entendue. Elle donne son consentement même si elle ne donne pas son accord. (iv) Les différentes opinions peuvent être mentionnées dans la décision ; dans ce cas il y a consensus sur le fait qu’il n’y a …pas de consensus ! (v) Enfin l’assemblée peut arriver à se mettre d’accord sur le fait qu’aucune décision ne peut être prise ; soit on retire la proposition, soit on la renvoie à plus tard.[4]

Toutes ces « soupapes de sécurité » permettent à l’institution de ne pas être bloquée. « Qu’est ce qui est le plus important : gagner un vote majoritaire…ou chercher à répondre à un nouveau défi, même si à la fin du processus l’Eglise doit dire : le défi est si sérieux que la réponse à celui-ci doit être différée » (G. Lemopoulos)

Enfin, autre cas de figure, que faire quand il y a des questions urgentes et qu’on a peu de temps à disposition ? A ce moment il est possible de passer au vote majoritaire si 85% de l’Assemblée en décide ainsi. Mais cela devrait être l’exception. D’ailleurs le vote majoritaire continue d’être utilisé pour les élections et pour accepter le budget.

 

7 .Nécessité d’une « ascèse ».

 

Les assemblées de Porto Alegre et de Busan ont été un apprentissage. Ayant pu participer aux deux, j’ai constaté une évolution dans la qualité des débats avec cette démarche du consensus. Toutefois des limites sont aussi apparues. Surtout le manque de temps, dû à un ordre du jour trop abondant, ne permettait pas toujours un réel approfondissement. De même la longueur de certains rapports ont limité les possibilités d’un dialogue significatif.

Le COE a reconnu que le passage au processus de consensus exige des changements dans les méthodes et les processus afin de permettre au consensus de se dégager. Une « ascèse » parlementaire est donc requise si l’on désire que le modèle du consensus révèle tout son potentiel.

Les délégués à l’Assemblée de Porto Allegre ont été invités à se poser trois sortes de questions: Qu’est-ce qui m’interpelle; qu’est-ce qui me trouble; quelle est ma question? Chaque délégué doit aussi se rappeler que l’assemblée n’est pas un forum pour se mettre en valeur. Le mot d’ordre est celui de Paul: « Nous ne nous prêchons pas nous-mêmes…mais nous qui portons ce trésor spirituel, nous sommes comme des vases d’argile, pour que l’on voie bien que cette puissance extraordinaire appartient à Dieu et non pas à nous. » (2 Cor. 4,5-7). Et par-dessus tout, tous ont à demeurer dans la paix du Christ et lui demander, dans une constante prière intérieure, à guider l’assemblée dans les décisions à prendre.

 

8. Donner la voix aux minorités

 

J’avais participé également à l’Assemblée du COE de Harare au Zimbabwe (1998). Les tensions étaient tellement fortes qu’on se demandait alors si le COE n’allait pas exploser. Huit ans plus tard, à Porto Allegre, j’étais curieux de voir comment comment cette procédure allait marcher. Les délégués avaient deux sortes de « cartes indicatrices ». Des oranges et des bleues. Lever une carte orange – une couleur chaude – signifie qu’on en faveur de l’opinion exprimée. La carte bleue – une couleur froide – indique qu’on est contre. Le président devait être attentif pour donner la parole aux personnes qui levaient la carte bleue. Les sujets introduits et discutés en assemblée étaient susceptibles de rencontrer un consensus. Mais sur chaque thème, on pouvait voir plusieurs cartes bleues. Il s’agissait alors d’écouter ces minorités jusqu’à ce qu’elles soient vraiment entendues. Quand il n’y avait plus de cartes bleues, le consensus était déclaré.

A Busan, lors d’un débat, il ne restait plus qu’une seule personne avec une carte bleue qui avait encore d’importantes objections. Au lieu de prendre une décision, l’Assemblée décida de renvoyer cet objet au prochain comité central ! Elle avait discerné qu’un approfondissement était encore nécessaire… Une personne sur 599 avait été prise au sérieux !… Mais il est vrai que le sujet n’était ni urgent, ni brûlant !

Dans la mesure où une décision a été prise où toutes les personnes ont pu être entendues, le consensus mobilise les délégués qui seront davantage prêts à expliquer les décisions des Assemblées à leur Eglise. Ce modèle permet à davantage de personnes d’être impliquées dans la prise de décision. Et ceci a comme fruit de donner une plus grande satisfaction. Brian Farrell, chef de la délégation catholique à Porto Allegre a résumé ainsi cette expérience : « Cette méthode a apporté un nouvel esprit de recherche. L’Assemblée a ainsi donné une place à l’expression des différences. Ensuite, elle nous a invités à aller de l’avant et à vivre avec les différences qui existent. »

 

9.Une mise en pratique lors d’un « entretien oecuménique ».

 

Thème controversé, s’il en est, entre les Eglises, – et à l’intérieur de celles-ci – la question de la sexualité a fait l’objet d’un « entretien oecuménique », à Porto Alegre. Alors que ce thème est encore tabou dans bien des contextes et que des herméneutiques différentes conduisent à des positions conflictuelles, on a pu en discuter, dans un esprit de prière et d’écoute. Un « entretien » est un espace, en dehors des assemblées plénières, où l’on peut aborder les principaux sujets qui exigent des Eglises une action commune, parce qu’ils mettent en question l’être même de l’Eglise, en divisant  les gens et en les dressant les uns contre les autres. 

J’ai participé à un tel « entretien » sur ce thème et, de l’avis de plusieurs, une telle expérience est libératrice, quand bien même les positions exprimées étaient très contrastées. L’intéressant est l’esprit de consensus qui a conduit les trois rencontres consacrées à ce sujet. Les interventions étaient courtes, plusieurs positions étaient exprimées; une réflexion sur l’image de Dieu et la sexualité comme don de Dieu a été proposée; les prises de position des Eglises ont été analysées; des histoires de vie ont été entendues en grand ou en petit groupe.  La nouveauté a été dans la manière d’en parler : en cherchant à vivre la culture du consensus. Durant trois rencontres les participants ont fait l’effort de se comprendre, d’écouter, dans le respect de la diversité. Même si les Eglises ont des perceptions très différentes et que des positions communes paraissent impossibles, un consensus semblait se dégager dans le fait qu’il est nécessaire de discuter de cette question. Et que les Eglises doivent offrir des espaces sûrs pour l’aborder.

 

10. Le consensus pour aborder la question de l’homosexualité dans l’Eglise?

 

Cette question reste une grosse pierre d’achoppement. Pas seulement entre orthodoxes et protestants dans le Conseil oecuménique, mais aussi entre Eglises du Sud et Eglises du Nord. En effets la plupart des Eglises du Sud sont plus proches des orthodoxes (et de l’Eglise catholique) que des Eglises protestantes du Nord sur cette question.

Cette question suscite également des tensions terribles à l’interne des Eglises protestantes. Léonid Kishkovsky, délégué à l’oecuménisme de l’Eglise orthodoxe américaine et président de la Conférence des Eglises américaines membres du COE pense que cela est dû au fait qu’elle a été  traitée dans le contexte d’assemblées législatives, décisionnelles. Le présupposé était qu’on pouvait débattre, voter et décider. Mais on a pris conscience que cette procédure était inopérante, parce qu’elle produisait non pas le discernement, mais la division.

« Il devint alors évident que si vous abordez le débat dans l’esprit de prendre une décision plutôt que dans celui de chercher un discernement, vous vous égarez. Cela crée des divisions radicales. Je pense qu’aujourd’hui dans les Eglises américaines, qu’elles soient protestantes ou orthodoxes, libérales ou conservatrices, la méthodologie du consensus en vue d’arriver à un discernement commence à être acceptée. La méthode doit être la discussion  et la réflexion, non pas la décision législative. Ceci est en accord avec le processus de consensus que nous voulons établir dans le COE. L’introduction du modèle du consensus vient donc d’expériences pénibles et difficiles », dit Kishkovsky.

 

 

11. Conclusion : un nouveau climat spirituel

 

Le consensus ne résout pas tout. Sur beaucoup de points, en particulier les questions délicates liées à l’ecclésiologie et l’éthique, un grand travail reste à faire. Il faudra plus de deux assemblées pour passer d’un changement de règlement à un changement de culture ecclésiale. Le modèle du consensus n’est pas une panacée. « Nous devons faire preuve de réalisme et de patience, disait le président Aram à Porto Allegre, l’éthos du Conseil ne peut changer en un clin d’œil. La question critique demeure: comment le Conseil peut-il passer d’un changement du règlement à un changement d’éthos? Toutes les Eglises membres ont un rôle déterminant  à jouer dans ce processus long et difficile ».

Toutefois, il me semble que cet « éthos » a commencé à influencer le COE. Un nouveau climat spirituel dans le COE peut se percevoir. Il permet aux personnes de continuer à se respecter; il facilite la conversation. Cette écoute mutuelle a comme fruit de construire la communion fraternelle. Elle peut conduire à établir des relations nouvelles entre personnes et Eglises et à faire de l’Eglise cette « communauté de guérison », dont le COE veut être une parabole.

En outre, il y a de bonnes raisons de discerner un début de « consensus » sur la nécessité d’utiliser le modèle du consensus pour discuter des questions éthiques et théologiques.

Des grandes Eglises protestantes aux USA, qui ont vécu des divisions internes, l’ont maintenant introduit. Le COE  pourrait alors de proposer ce modèle à d’autres Eglises. Si elles l’introduisaient, cela serait un bon indicateur de son impact sur la vie des Eglises. Et si nos Eglises réformées en Suisse romande se laissaient aussi interpeller ?

 

Martin Hoegger, 2006 et article révisé en nov 2016

[1] Une réflexion sur le consensus et son introduction dans la Uniting Church of Australia se trouve en Jill Tabart, Coming to Consensus, WCC, Genève, 2003.

[2] « Appelés à être l’Eglise une. » COE, Genève, 2006. https://www.oikoumene.org/fr/resources/documents/assembly/2006-porto-alegre/1-statements-documents-adopted/christian-unity-and-message-to-the-churches/called-to-be-the-one-church-as-adopted?set_language=fr

[3] Rapport au comité central, février 2005. Cf Walt Wiltschek, Le Consensus: « Une approche qui reflète mieux la nature de l’Eglise ». COE, 2005. https://www.oikoumene.org/fr/press-centre/news/le-consensus-une-approche-qui-reflete-mieux-la-nature-de-l-eglise

 

[4] Voici les différentes formes de consensus envisagées par les statuts de la Communauté des Eglises chrétiennes dans le Canton de Vaud. Il y a consensus dans l’un quelconque des cas suivants:

  1. Tous les participants sont d’accord (unanimité);
  2. La plupart des participants sont d’accord et ceux qui ne le sont pas estiment que la discussion a été à la fois exhaustive et équitable et que la proposition reflète l’opinion générale des membres présents; la minorité donne alors son assentiment à la proposition;
  3. Les participants reconnaissent que les opinions divergent et conviennent d’en rendre compte dans la proposition elle-même (et non seulement dans le procès-verbal)
  4. Les participants conviennent d’ajourner l’examen de la question;
  5. Les participants conviennent qu’aucune décision ne peut être prise.

Voir aussi Programme de l’Assemblée, COE, Busan, p 84ss. http://wcc2013.info/fr/resources/documents/Programme_fr.pdf

 

 

Le modèle du consensus : un changement institutionnel significatif ! Martin Hoegger
Étiqueté avec :    

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site est protégé par reCAPTCHA et la Politique de confidentialité, ainsi que les Conditions de service Google s’appliquent.