On reproche à la HET-pro de partager les convictions du Mouvement de Lausanne. Voici par exemple ce qu’écrit Jean-François Habermacher sur le site de « Pertinence » :

« Si les diverses confessions chrétiennes sont prêtes à chercher, dans les Ecritures, l’expression de la Parole de Dieu, les Réformés sont-ils d’accord de les considérer comme « Parole écrite de Dieu », comme « unique règle infaillible de foi et de vie » ou de prétendre, comme l’affirme La Déclaration de Lausanne (1974) : « qu’il n’y a point d’erreur dans tout ce que l’Ecriture affirme » (§ 2. Autorité et puissance de la Bible) ? »

On touche ici à l’un des points chauds du débat théologique : y a-t-il des erreurs dans ce que la Bible affirme ?

Si oui, nous sommes autorisés à choisir ce qui nous semble juste et à laisser tomber ce qui nous semble faux dans l’enseignement biblique. Est-ce bien là la position des Réformés ? Cela peut se discuter…

Si non, nous sommes appelés à comprendre ce qu’enseigne la Bible, à l’interpréter, à le contextualiser, à le traduire en actes… mais nous n’avons pas la liberté de disqualifier son enseignement.

Au fond, cette confession de « l’inerrance de la Bible » n’est pas un oreiller de paresse. Bien au contraire : il est beaucoup plus facile de conclure que tel auteur biblique se trompe que de chercher à le comprendre !

Au fond, cette confession de « l’inerrance de la Bible » n’est pas un constat objectif. Qui serait en mesure de décréter qu’il y a ou qu’il n’y a pas d’erreurs dans l’enseignement de la Bible ? Il s’agit plutôt d’un positionnement subjectif et confessant : je crois que je suis appelé à comprendre la Bible et non à la juger.

Le but de l’article ci-dessous est de préciser ce qu’un « évangélique » veut dire quand il parle d’inerrance de la Bible.

Pourquoi parler d’inerrance  des textes bibliques ?

Ces quelques remarques n’ont d’autre ambition que de rendre compte, sur un point particulier, de la foi qui nous habite : nous croyons que Dieu nous a donné une Bible fiable, non point pour nous dispenser d’avoir foi en lui… Au contraire : pour nous appeler à lui faire confiance par une parole forte et vraie qui nous renvoie sans cesse à lui.

L’inerrance

Par ce terme, nous confessons qu’en vertu de l’inspiration, les auteurs bibliques ne se trompent pas (vérité opposée à l’erreur) et ne nous trompent pas (vérité opposée au mensonge) dans ce qu’ils enseignent par leurs écrits.

Le lecteur reconnaîtra d’emblée :

1.    Que nous ne défendons pas l’infaillibilité des auteurs bibliques (Pierre a dû être repris par Paul ; Ga 2,11), mais l’inerrance de leurs écrits canoniques dans lesquels nous reconnaissons l’autorité apostolique (« pasa graphé theopneustos » ; 2 Tm 3,16).

2.    Que nous ne défendons pas l’exactitude scientifique ou chronologique de tous les éléments mentionnés dans la Bible.
« Nous rejetons la démarche qui impose à l’Ecriture des canons d’exactitude et de véracité étrangers à sa manière et à son but. Nous rejetons l’opinion selon laquelle il y aurait démenti de l’inerrance quand se rencontrent des traits comme ceux-ci : absence de précision technique à la façon moderne, irrégularités de grammaire ou d’orthographe, référence aux phénomènes de la nature tels qu’ils s’offrent au regard, mention de paroles fausses mais qui sont seulement rapportées, usage de l’hyperbole et de nombres ronds, arrangement thématique » (et non chronologique) « des choses racontées, diversité dans leur sélection lorsque deux ou plusieurs récits sont parallèles, usage de citations libres[1] ».

3.    Que nous ne confondons pas l’inerrance des écrits bibliques avec une interprétation littéraliste de ces derniers. Seule une prise en compte de l’intention de l’auteur, du genre littéraire utilisé et du contexte biblique et extra-biblique permet de déterminer avec précision ce que l’auteur biblique « enseigne ».

Un exemple simple : « Du lieu où le soleil se lève jusque là-bas où il se couche, que tous glorifient le Seigneur ! » (Ps. 113,3) est un énoncé inexact si on le teste selon les critères de l’astronomie moderne mais parfaitement correct dans un genre littéraire hymnique et parfaitement adapté à l’intention de l’auteur, qui n’est pas de nous donner un cours d’astronomie mais de nous inviter à la louange[2].

Confesser l’inerrance de la Bible n’implique donc pas l’adhésion à une conception positiviste de la vérité, ni à une interprétation littéraliste de la Bible.

Confesser l’inerrance, c’est « simplement » reconnaître comme parfaitement fiable ce que les écrits bibliques enseignent.

Il nous appartient de découvrir les intentions de l’auteur, de comprendre le sens de son message et d’y adhérer par la foi, mais pas de porter un jugement sur lui.

Conséquences de l’inerrance

La confession de l’inerrance a une importance certaine au niveau méthodologique. Elle détermine tout d’abord notre attitude vis-à-vis du texte dont nous nous approchons (ou qui, dans la prédication par exemple, s’approche de nous). La confession de l’inerrance permet une approche confiante et détendue des textes bibliques. Confessant leur vérité (qui est la face positive de l’inerrance) nous allons pouvoir nous attacher à la recherche du ou des sens voulu(s) par Dieu.

Dans cette perspective, la raison et l’intuition sont des moyens qui nous aident à comprendre l’Ecriture (le Saint-Esprit se servant de ces médiations-là pour nous éclairer sur le sens de la Bible), mais en aucun cas des normes autonomes qui nous permettraient de la juger en nous plaçant ainsi au-dessus d’elle.

La confession de l’inerrance détermine ensuite notre exégèse et notre herméneutique en nous empêchant (disons-le franchement !) de conclure à la présence d’erreurs ou de contradictions. En effet, des contradictions au sein du texte biblique impliqueraient que l’un ou l’autre des énoncés (ou les deux) soi(en)t faux. C’est ainsi que l’inerrance implique le principe d’harmonie, qui consiste à :

1.   interpréter l’Ecriture par l’Ecriture ;

2.   ne pas dresser l’Ecriture contre l’Ecriture ;

3.   étudier ce qui semble obscur dans l’Ecriture à la lumière de ce qui apparaît comme essentiel et clair.

« Ce principe nous oblige à faire écho aux accentuations principales du Nouveau Testament et à développer une exégèse christocentrique, kérygmatique et centrée sur l’alliance pour les deux Testaments. Il nous amène également à garder un sens affiné des proportions, en ce qui concerne les questions secondaires, pour ne pas les laisser obscurcir ce que Dieu a révélé comme étant plus important[3]. »

Attention ! Ce principe risque de nous lancer à corps perdu dans des harmonisations forcées si nous n’en usons pas sobrement, en reconnaissant que rien ne nous oblige à résoudre toutes les contradictions apparentes. Certaines de ces contradictions aboutissent à des antinomies qui, pour être irréductibles selon notre raison humaine, n’en sont pas moins essentielles à la foi chrétienne. Certaines décisions des grands conciles traduisent le souci de ne pas réduire, comme ce serait notre penchant naturel, un texte à l’autre, par respect pour l’un et l’autre textes (par exemple : l’unité et la trinité de Dieu ; la divinité et l’humanité de Jésus). Ainsi l’inerrance, si elle invite à l’harmonie, aboutit parfois au maintien de diversités inconfortables, à cause de sa notion même de la vérité des textes. Il vaut mieux laisser le dossier ouvert « à plus ample informé » plutôt que d’imposer une harmonisation factice.

Réciproquement, il vaut mieux laisser le dossier ouvert « à plus ample informé » plutôt que de résoudre une difficulté en décrétant que le texte biblique se trompe. L’inerrance nous oblige à remettre sans cesse notre ouvrage sur le métier… et à rechercher l’erreur dans notre compréhension actuelle du texte plutôt que dans le texte biblique.

Les limites du concept

L’inerrance n’est pas, même si certains ont pu le croire, la solution miracle à tous les problèmes que nous posent le texte ou la théologie. Elle ne résout pas d’office toutes les questions historiques ou exégétiques que nous rencontrons. Elle n’implique pas des positions nécessairement conservatrices sur les questions de critique historique, de formation des textes et d’identité des auteurs, etc. Elle n’est pas et ne doit jamais être pour nous une manière rapide et paresseuse de nier les difficultés. Elle nous pousse seulement à chercher des solutions qui rendent vraiment compte de la plénitude du texte biblique sans avoir à le contredire ou l’infirmer. Loin de permettre l’économie du travail scientifique, elle oblige au contraire à la recherche sérieuse et approfondie de ce que l’auteur a dit et veut dire, justement parce que cette parole est la vérité.

Notre théologie n’est pas infaillible

Nous confessons l’inerrance de l’Ecriture, non celle de notre conception de l’Ecriture. Toute notre doctrine de l’Ecriture, dont l’inerrance fait partie, est soumise à la spirale herméneutique dont parlait J. Packer dans son article « l’herméneutique et l’autorité de la Bible » (Hokhma n° 8) : l’exégèse va nourrir la dogmatique qui, à son tour, influencera l’exégèse. Mais le texte lui-même doit toujours pouvoir exercer sur notre théologie une fonction critique. Confesser l’inerrance, c’est souligner que le texte, et lui seul, a autorité. Il ne faut donc pas que la rigidité de notre doctrine de l’inerrance transforme la spirale herméneutique en un cercle vicieux dont le résultat serait d’empêcher le texte, dont nous proclamons l’autorité sans faille, de corriger lui-même l’idée que nous nous faisons de lui.

Inerrance et témoignage du Saint-Esprit

Contrairement à une approche rencontrée parfois, nous devons nous rappeler que l’inerrance n’est pas le fondement de notre foi. Notre foi ne dépend pas de la solution de tous les problèmes historiques, théologiques ou exégétiques. Autrement dit, la présence d’une erreur dans l’Ecriture ne détruirait pas notre confiance en Christ. Notre foi ne dépend pas de la vérification académique de l’Ecriture mais du témoignage intérieur du Saint-Esprit.

L’inerrance nous invite à une approche détendue et confiante du texte biblique. Au contraire, faire porter tous les efforts sur la solution immédiate de tous les problèmes revient à favoriser dangereusement une théologie de l’auto-défense. Rappelons-nous que la première conséquence de l’inerrance est le respect absolu du texte biblique.

Ce n’est pas en résolvant techniquement les difficultés rencontrées dans la Bible qu’on validera le mieux son inerrance, mais en dégageant clairement le sens du message biblique et en manifestant sa vérité et sa pertinence actuelle par un témoignage (paroles et actes) vécu dans la puissance de l’Esprit.

Il nous paraît donc capital, premièrement, de ne pas remplacer le témoignage du Saint-Esprit par l’argumentation concernant l’inerrance de l’Ecriture… et deuxièmement, de ne pas opposer le témoignage intérieur du Saint-Esprit à la confession de l’inerrance. L’un n’exclut pas l’autre, au contraire ! Le témoignage du Saint-Esprit fonde notre confession de l’inerrance en nous induisant à reconnaître, dans l’Ecriture, la Parole même de Dieu.

Un élément parmi d’autres…

La confession de l’inerrance nous apparaît comme un des éléments qui déterminent notre approche de l’Ecriture. Elément important, elle est loin d’être le seul. Bien d’autres, plus ou moins conscients, influent sur notre lecture et orientent (ou déforment) notre compréhension du texte : notre vision du monde, notre tradition théologique, notre psychologie, notre spiritualité, notre enracinement communautaire et culturel.

Un témoin de Jéhovah ou un théologien de l’Eglise orthodoxe confesseront aussi l’inerrance : pourtant leurs lectures seront différentes …C’est donc que d’autres facteurs entrent en action.

Le schéma que nous proposons essaie de rendre compte du fonctionnement de la démarche théologique de n’importe quel lecteur de l’Ecriture. Il ne se veut pas exhaustif ! Le poids accordé à chaque élément variera d’un lecteur à l’autre, d’un théologien à l’autre.

Il ne s’agit pas de réduire, dans ce dessin, l’importance de l’inerrance, mais de souligner encore une fois qu’elle n’est qu’un élément d’un ensemble complexe, probablement plus encore que ne le suggère le croquis.

Notez bien !

1.    Dieu ne se borne pas à « influencer » la foi du lecteur… Aucun domaine ne lui échappe. On pourrait donc multiplier les flèches qui partent de lui mais cela alourdirait notre schéma et donnerait peut-être l’illusion qu’on peut mettre l’action de Dieu en diagramme.

2.    Les flèches du demi-cercle qui entourent la foi du lecteur et sa doctrine de l’Ecriture n’expriment pas seulement la relation entre les deux domaines qu’elles visent mais une interrelation plus large entre tous les domaines.

Il va de soi que tous ces domaines ne doivent pas être compris en général mais dans le cas précis d’un lecteur. Ainsi faut-il lire tradition théologique « du lecteur », psychologie « du lecteur », etc.

 

Explicitement en tout cas, le théologien évangélique confesse l’Ecriture comme l’autorité suprême et il accorde un grand poids à la théologie biblique et à la spiritualité. Mais, dans les faits, sa lecture peut être conditionnée plus qu’il ne l’imagine par d’autres facteurs (psychologiques, culturels, traditionnels…). D’où l’importance d’un dialogue théologique qui a pour mérite, parmi d’autres, de nous rendre plus conscients de nos ornières. Ne vous gênez pas de nous écrire à ce sujet !

 

Louis Schweitzer et Gérard Pella, dans Hokhma No 25 (1984), pp.35-40.

[1] « Sur l’inerrance biblique. Déclaration de Chicago » reproduite dans Ichthus n° 8 (décembre 1978) p. 7.
[2] Pour des exemples plus élaborés, voir Richard France, « L’inerrance et l’exégèse du Nouveau Testament » Hokhma n° 8 (1978), pp. 25-38.
[3] James Packer, art. cit. Hokhma n° 8, pp. 11-12.

Des erreurs dans l’enseignement biblique ?

Un avis sur « Des erreurs dans l’enseignement biblique ? »

  • 2 novembre 2017 à 9 h 59 min
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    Merci pour cet article très intéressant qui met si bien en évidence l’importance capitale de nos intentions profondes au moment d’appréhender les textes bibliques ou encore la nécessité de subordonner notre intelligence, aussi merveilleuse fût-elle, à l’éclairage de l’Esprit-Saint.

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